La Poussière Des Corons
l’avais eu à moi seule, de le laisser partir !…
— Ne crains rien, reprit-il, comme s’il avait
deviné mes pensées. Je serai toujours là pour toi. Même marié, je resterai ton
fils aimant. Marcelle t’aime sincèrement aussi. Alors, tu vois bien qu’il est
ridicule de pleurer !
Ses paroles m’apportèrent une grande douceur. Je fus rassurée.
Pourquoi avais-je eu l’impression de le perdre alors que, au contraire, comme
il venait de me le dire, j’aurais deux enfants désormais pour me chérir ?…
Les réjouissances durèrent une bonne partie de la nuit, et puis, un à un, les
invités partirent. Juliette vint me dire au revoir et m’embrassa
chaleureusement :
— Sais-tu ce que je souhaite ? Que Germain, plus
tard, trouve une jeune fille comme Marcelle. Elle semble avoir toutes les
qualités !
Je ne pouvais qu’approuver. Ils furent les derniers à nous-quitter,
et ils emmenèrent Jean et Marcelle. Bertrand s’était acheté une voiture l’année
précédente, une 203 Peugeot ; il l’avait mise à la disposition des mariés,
qu’il déposerait dans leur nouveau logement, une maison pour ingénieur que les
Houillères avaient accordée à Jean sur sa demande. C’était à quelques
kilomètres de chez nous, suffisamment proche pour que nous puissions nous voir
souvent. De l’extrémité du coron, on apercevait, au-delà des champs, le terril
de la fosse où il travaillerait, et j’étais rassurée de savoir que mon enfant
ne serait pas trop éloigné de moi.
Ils m’embrassèrent tous les deux, lui et Marcelle, avec
tendresse et amour. Sur le seuil, près de Charles, je les regardai monter dans
la voiture et partir. Je les regardai jusqu’à ce que les feux arrière eussent
complètement disparu. Puis je rentrai, avec Charles, dans la maison où, dorénavant,
nous ne serions plus que deux.
J’éprouvais une étrange sensation, un peu comme s’il me
manquait quelque chose. Dans notre cuisine, désemparée, je me suis tournée vers
Charles. Il m’a ouvert les bras, sans parler, en un geste silencieux d’amour et
de réconfort. Je me suis blottie contre lui, et me suis sentie apaisée. J’ai
compris, plus que jamais, ce que m’apportaient sa bonté, sa tendresse, sa compréhension,
et j’ai su que son amour, une fois de plus, m’était une nécessité.
Finalement, tout fut facile. L’amitié qui me liait à
Marcelle, depuis si longtemps, fit que je ne pus jamais voir en elle une rivale.
Au contraire, toutes les deux nous aimions Jean, et ce même amour nous
rapprochait, nous rendait complices. Jean lui-même, lorsqu’il nous voyait
ensemble, prit l’habitude de nous taquiner gentiment :
— Voilà, disait-il, les deux femmes de ma vie !
Marcelle, comme moi, sans aucune jalousie, nous riions. Il y
avait place pour nous deux, après tout, dans le cœur de Jean. Et son amour pour
sa femme ne diminuait en rien son amour pour moi. Quant à Marcelle, elle était
si douce, si gentille, qu’on ne pouvait que l’aimer.
Depuis son enfance, elle m’avait toujours tutoyée ; elle
continua. Simplement, au lieu de m’appeler Madeleine, elle m’appela maman. Je
gagnai, à partir du jour où elle fut la femme de Jean, la fille que je n’avais
jamais eue.
J’allais souvent l’aider, dans l’installation de la maison
où elle vivait avec Jean, mais uniquement quand elle me le demandait. Je ne
voulais pas être importune. C’était une grande maison, avec un rez-de-chaussée
et deux étages, entourée d’un grand parc. Elle était bien trop grande pour eux
seuls.
— Elle ne sera pas trop grande longtemps, disait
Jean, une étincelle malicieuse dans les yeux. Nous avons l’intention de la
peupler de beaucoup d’enfants !
Je fis des rideaux, des doubles rideaux, je passai des
heures à coudre. Ensuite, avec Catherine, je partais, en début d’après-midi, à
pied, en empruntant les sentiers à travers champ – les « voyettes »,
comme nous disions dans notre patois –, et nous arrivions chez Marcelle
qui nous attendait. Et nous installions, nous nettoyions, nous frottions. En
peu de temps, la maison prit un air habité et pimpant.
Jean était heureux de voir ce que nous faisions. Il parlait
très peu de son travail, et répondait évasivement si on l’interrogeait. Une
fois, Marcelle me confia :
— Il n’aime pas beaucoup en parler, les débuts
sont difficiles. Il est nouveau, et les mineurs sont méfiants. Ils ne le
connaissent pas encore
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