La Poussière Des Corons
suffisamment. Mais ça s’arrangera, à la longue…
Je l’espérais aussi. C’était si important, pour Jean, son
métier. Il était impensable qu’il fût déçu.
Je pris l’habitude de voir mon fils marié, de voir une autre
femme s’occuper de lui. Chaque dimanche, nous nous réunissions, avec Jean, Marcelle
et ses parents, chez l’un ou l’autre à tour de rôle. Nous discutions, nous
bavardions. J’aimais voir le bonheur évident de mon fils, la façon dont son
regard cherchait celui de Marcelle. J’étais heureuse et rassurée de les voir s’aimer
autant.
Parfois, Anna et Georges nous tenaient compagnie. Quand ils
venaient avec nous, les dimanches où nous allions chez Jean, les deux garçons, Paul
et Bernard, passaient leur après-midi dans le parc. Il était si grand, avec des
allées et des arbres, si différent de nos petits jardins du coron, qu’il
représentait pour eux un vrai paradis. Jean disait :
— Au moins, nos enfants auront de l’espace pour
jouer !
Mais lui-même, et moi dans mon enfance, à défaut de parc, nous
avions eu tout le coron comme terrain de jeux, le terril, les champs alentour. Nous
ne manquions pas d’espace. Et nous n’étions pas malheureux, loin de là.
Marie-Jeanne grandissait. Elle devenait un bébé rose et
potelé, toujours souriant. Elle avait les cheveux blonds et les yeux bleus de
sa mère. Tous tant que nous étions, nous en étions fous. Georges, surtout, était
gâteux devant elle. Lui qui, avec ses fils, était sévère, et même parfois dur, fondait
devant son petit bout de fille.
Il m’arrivait d’envier Anna d’avoir pu donner à son mari un
tel trésor, qu’il adorait aussi visiblement. Lorsque je voyais mon beau-frère
jouer avec sa fille, il me venait, de nouveau, le regret de n’avoir pas donné
une fille à mon Charles bien-aimé. C’était un regret douloureux, enfoui au plus
profond de moi, dont je ne parlais jamais. Il me serrait le cœur lorsque, parfois,
Charles me disait :
— Tu as vu, Madeleine ? Marie-Jeanne a des
fossettes quand elle sourit, et je crois bien qu’elle a les yeux de ma sœur. Ne
crois-tu pas ?
Alors, je l’observais, essayant de déceler sur son visage, dans
son regard, l’ombre d’un regret. Mais je n’y voyais que l’attendrissement qu’il
éprouvait envers sa petite nièce. Et, pour un instant, j’étais rassurée.
Au Nouvel An suivant, j’eus cinquante ans.
— Bon anniversaire, maman ! me dit Jean. Te
rends-tu compte que tu as un demi-siècle ?
Marcelle et lui m’offrirent, à moi qui adorais lire, des
livres de prix. Charles, à son tour, m’embrassa, et je vis son amour rayonner
dans ses yeux clairs.
— Joyeux anniversaire, ma chérie, dit-il tout bas.
Voilà mon cadeau, j’espère qu’il te plaira.
Dans ses mains calleuses de mineur, il tenait un écrin qu’il
me tendit. Je le pris, indécise et ravie :
— Charles ! Qu’est-ce que…?
J’ouvris l’écrin avec précaution. Sur le velours bleu nuit
reposait un pendentif en or, en forme de cœur. Je n’avais jamais possédé un
bijou aussi luxueux. Je levai les yeux, émue :
— Oh ; Charles !… C’est… c’est trop beau !
D’une voix basse et grave, il dit :
— Laisse-moi te le mettre. Je veux que tu le
gardes toujours sur toi, afin qu’il te dise, à chaque moment de ta vie, que mon
cœur est à toi depuis toujours.
Avec des doigts maladroits, il m’attacha la chaîne autour du
cou. Je prenais, une fois de plus, conscience du fait que Charles m’aimait
réellement, profondément, même s’il ne me le disait pas souvent. Son amour
était présent, fidèle, dans chacun de ses regards, dans chacun de ses gestes
envers moi.
4
AU début du printemps, la mine tua, une fois de plus. Ce fut,
cette fois, un accident isolé. Alexandre, le meilleur ami de Georges, qui était
le parrain de Marie-Jeanne, fut frappé de plein fouet par une berline, et tué
sur le coup. La peine de Georges fut immense. Il aimait Alexandre comme un
frère. Sur le moment, il cria sa révolte, son indignation devant tant d’injustice.
Et puis, après l’enterrement, il resta sombre, maussade, taciturne. Charles, parfois,
essayait de le raisonner, mais il haussait les épaules et secouait la tête, ne
voulant rien entendre.
Anna, un jour, me dit :
— Georges m’inquiète, Madeleine. Je ne sais plus
que faire. La mort d’Alexandre l’a terriblement frappé.
Il part chaque jour au fond avec l’attitude
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