La Poussière Des Corons
confié leurs enfants, et nous sommes
allés tous ensemble passer la journée chez Jean et Marcelle. En voyant les deux
garçons, Paul et Bernard, galoper et jouer dans le parc, je pensai que, si le
vœu de Georges se réalisait, ses fils auraient bientôt, autour de leur propre
maison, un parc encore plus grand à leur disposition.
Anna m’avait confié la clé de sa maison. Le soir, en
attendant leur retour, Charles et moi nous sommes allés coucher les enfants. En
baignant et en déshabillant la petite Marie-Jeanne, qui était un beau bébé
potelé, je m’efforçai de chasser la tristesse que j’éprouvais en pensant que, bientôt
peut-être, elle partirait. Comme son sourire, son gazouillement, ses fossettes
et ses yeux bleus nous manqueraient, à Charles et à moi !
Les enfants couchés, nous avons attendu le retour des
parents. Lorsqu’ils revinrent, je vis tout de suite, à l’air heureux de Georges,
au sourire d’Anna, que tout allait bien pour eux. Contente de leur joie, je
questionnai :
— Alors ? Ça s’est bien passé ?
— Ça y est ! explosa Georges. Nous sommes
engagés ! Si tu avais vu, Madeleine, la propriété ! Et le pavillon où
nous allons habiter ! Il a quatre pièces, il est grand, spacieux, c’est
autre chose que notre petite maison ici ! Et l’espace, autour de nous !
C’est immense ! Nous avons tellement l’habitude d’être serrés les uns sur
les autres, dans le coron, que là-bas nous allons trouver une énorme différence !
Mais c’est formidable, n’est-ce pas, Anna ?
Anna, qui enlevait son manteau, ses chaussures, sourit de l’enthousiasme
de son mari. Elle alla voir ses enfants endormis, et Georges continua ses
explications. Je me disais, en regardant l’étincelle qui brillait dans ses yeux,
en entendant l’excitation qui faisait vibrer sa voix, qu’il était complètement
transformé. Ce n’était plus le Georges abattu, malheureux, des semaines
précédentes. C’était un autre homme, pour qui se levait l’espoir d’une vie
nouvelle, d’une vie meilleure.
— Nous avons été choisis, disaient-ils, parce que
les autres couples ne convenaient pas. Deux étaient trop âgés ; chez un
autre la femme ne savait pas faire la cuisine. Et il faut savoir, parce qu’il
faut aider quand il y a des réceptions, mais ça n’arrive pas souvent. Les
propriétaires ne sont là qu’en été ; le reste du temps ils viennent
parfois le dimanche. Je crois que nous serons bien.
Anna revint dans la pièce. Elle aussi avait de la joie dans
les yeux. Je regardai Charles, qui souriait à son frère, d’un sourire un peu
triste, et je soupirai. Ils étaient contents de s’en aller, et nous, nous ne
devions pas être égoïstes. Mais nous avions de la peine de les voir partir.
Ils partirent le mois suivant, impatients et joyeux comme
des enfants. Nous sommes allés les accompagner à la gare. Nous les avons
embrassés, les larmes aux yeux, comme si nous n’allions jamais les revoir. Marie-Jeanne,
qui allait avoir un an, tendait vers nous ses petits bras en souriant.
— Comment me faire à l’idée de ne plus la voir ?
dit Charles avec tristesse.
— Allons donc ! répliqua Georges en donnant
une bourrade à son frère. Bientôt Jean te donnera une petite-fille !
— Et puis, vous viendrez nous voir, dit Anna, lorsque
nous serons tout à fait installés. Vous viendrez passer un dimanche avec nous
de temps en temps.
Lorsque le train s’ébranla, les emportant tous loin de nous,
j’ai lutté contre mes larmes. Charles et moi, nous n’étions plus que deux
maintenant. Son seul frère venait de partir, et moi, je n’avais ni frère ni
sœur. Heureusement, Jean et Marcelle nous restaient.
Ils étaient mariés depuis bientôt un an, et, chaque semaine,
j’espérais que Marcelle m’annoncerait enfin qu’elle attendait un enfant. Mais
les semaines passaient et mon espoir était toujours déçu. Je n’osais pas poser
la question, j’avais peur d’être indiscrète. Par moments, je m’inquiétais :
et s’ils n’avaient pas d’enfants ? Charles et moi, nous n’en avions pas eu,
alors que j’avais souhaité une petite fille…
Un jour, je fis part de mon inquiétude à Charles, qui sourit :
— Allons, Marcelle est jeune, elle n’a que vingt
ans. Elle a tout le temps !…
J’eus envie de dire que, à la naissance de Jean, moi aussi
je n’avais que vingt ans. Mais je me retins. Et je continuai à espérer en
silence, chaque
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