La Poussière Des Corons
Marie
m’écoutait, les yeux brillants ; Henri, en tant que fils du directeur de
la mine, jouissait d’un certain prestige auprès de nous, les enfants des
mineurs.
— Je voudrais bien qu’une telle chose m’arrive, à
moi aussi ! Être défendue par Henri Fontaine ! disait Marie.
Au bout de quelques instants, je remarquai que Charles ne
disait rien. Il ne partageait pas notre admiration, il semblait bouder. Je m’étonnai :
— Qu’y a-t-il, Charles ?
Il haussa les épaules, avec une sorte de violence :
— Il n’y a rien. Je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire
dans le comportement d’Henri. Ce qu’il a fait est normal. Si j’avais été là, j’en
aurais fait autant.
Un tel éclat ressemblait si peu à Charles que je le regardai
avec surprise. Son attitude me fit de la peine sans que je puisse m’expliquer
pourquoi.
A partir de ce moment, chaque jeudi, en allant chez Juliette,
je rencontrai Henri qui me souriait, me lançait un désinvolte : « Bonjour,
Madeleine ! Ça va ? » auquel je répondais avec une timidité
nouvelle. Dès que je le voyais, je sentais mon cœur bondir. Albert Darent me
laissa en paix. Il eut bientôt l’âge de quitter l’école pour prendre le chemin
de la mine ; je le vis beaucoup moins souvent. Néanmoins, je n’arrivai
jamais à me départir totalement de ma méfiance. Le regard torve qu’il me
lançait lorsque je le rencontrais n’augurait, à mon sens, rien de bon.
Peu après, ce fut au tour de Charles de se faire embaucher. Dès
qu’il eut douze ans, après son certificat d’études, il entra au criblage. Il
était l’aîné de quatre enfants, et son salaire serait le bienvenu. Il en était
très fier, il me disait :
— Bientôt, Madeleine, je travaillerai, moi aussi,
je gagnerai de l’argent !
Je sentais que mon compagnon de jeux m’échappait.
Je protestais :
— Mais, Charles, je ne te verrai plus !
Je ne pouvais pas admettre que sa fierté d’aller travailler
pût être plus grande que ma tristesse de ne plus l’avoir près de moi. Sans m’en
rendre compte, j’étais jalouse de la mine, qui accaparait son attention et la
détournait de moi qui étais, jusque-là, son seul univers.
Je dus prendre l’habitude de faire le chemin de l’école avec
la seule compagnie de Marie. Au début, l’absence de Charles créa un grand vide.
Les premiers jours, il me manqua tellement que le jeudi je demandai à ma mère
la permission d’aller l’attendre à la grille de la fosse. Elle me l’accorda
bien volontiers. Je partis, heureuse d’aller voir mon ami et curieuse de savoir
ce qu’il pensait de son travail.
La veille, j’avais demandé à mon père s’il voyait Charles en
allant à la mine.
— Il est au triage ; il n’est pas encore au
fond.
— Qu’est-ce que c’est, le triage ?
— Tout le monde commence par là. Moi aussi, je l’ai
fait. Imagine un tapis roulant sur lequel défile tout le charbon qui remonte du
fond. Parmi le charbon, il y a des cailloux, qu’il faut enlever. C’est ce que
fait Charles, et tous ceux qui sont, comme lui, au triage.
— C’est difficile ?
— C’est dur, surtout au début. C’est juste à côté
de l’endroit de sortie des wagons, il faut travailler dans la poussière et dans
le bruit, qui est infernal. De plus l’hiver il y fait très froid. Et puis, il
faut aller très vite, lancer les pierres dans des grands paniers. Le
surveillant inscrit, sur un tableau noir, à côté de chaque nom, le nombre de
paniers remplis, pour le salaire.
Je repensais à cette conversation en allant au-devant de
Charles. Je savais à peu près en quoi consistait son travail, mais je n’étais
absolument pas préparée à le voir tel qu’il m’apparut ce jour-là. Tout d’abord,
je ne le reconnus pas. Il était noir de poussière de charbon, et tellement
différent du garçon que je connaissais que je restai un instant interdite. Ce
fut lui qui m’appela : « Madeleine ! », et il vint vers moi,
heureux de me voir.
De près, je le trouvai encore plus changé. La poussière qui
maculait son visage le faisait paraître plus vieux, plus dur, et avait
tellement irrité ses yeux qu’ils étaient tout rouges. Il remarqua mon
expression, voulut parler, mais une quinte de toux l’en empêcha. Je restai là, impuissante,
à le regarder, complètement désorientée. Il se racla la gorge :
— Excuse-moi, c’est cette poussière de charbon. Elle
entre partout, et je
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