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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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disait Charles, fataliste,
répétant une phrase souvent entendue.
    Je ne pouvais pas répondre. Pour la première fois depuis que
je le connaissais, nous n’étions plus unis par les mêmes préoccupations. Avant,
tout ce qui me concernait le touchait, il faisait siens mes propres problèmes. Maintenant,
un nouveau centre d’intérêt nous séparait, qui occupait uniquement Charles, et
auquel j’étais totalement étrangère. Je voyais Charles devenir plus grave, plus
mûr, plus dur aussi. Il utilisait des expressions d’homme, qui lui venaient de
ses camarades de travail. Le compagnon de mon enfance changeait, et je n’y
pouvais rien. Il ne s’intéressait plus autant à moi ; j’en souffrais. Et l’amitié
qui nous liait ne fut plus assez forte pour me retenir sur le chemin qui me
menait vers Henri.
    Henri était toujours mon héros secret. Lui, il était beau, toujours
bien habillé, jamais noirci de charbon. Inconsciemment, j’y étais sensible. Lorsque,
en allant chez Juliette, je le rencontrais et qu’il me souriait, le soleil
entrait dans mon cœur. Je ne cherchais pas à voir plus loin, ni à m’interroger
sur ce que je ressentais pour lui. Je n’étais qu’une enfant, tout était simple.
Je l’admirais, et je savais que je lui aurais offert ma vie, sans condition. Le
fait qu’il fût avec moi simplement gentil me suffisait, et j’en étais heureuse.
    *
    L’année de mes douze ans marqua un tournant dans ma vie. Ce
fut, tout d’abord, l’année où je fis ma communion. J’avais suivi les cours de
catéchisme, avec le curé de la paroisse. Ils m’avaient beaucoup plu, car M. le
Curé avait le don de raconter l’histoire sainte. J’avais aimé David et Goliath,
Salomon et sa justice, et l’arche de Noé. Il avait raconté Jésus aussi, sa
naissance, sa vie, ses miracles, et son agonie sur la croix. Il m’avait prêté
un livre d’histoire sainte que j’avais lu et relu avec beaucoup de plaisir.
    Le jour de ma communion, habillée de ma robe blanche et de
mon voile, j’étais émue, grave et impressionnée. Je suis allée à l’église avec
Marie, et nos parents suivaient, avec leurs beaux habits du dimanche. Il
flottait, dans les rues, un air de fête, en même temps que des effluves de
cuisine ; je suis bien obligée de l’avouer, la communion, c’était aussi l’alléchante
perspective du repas qui suivrait la messe, et les réjouissances qui en
découleraient. Chacun chanterait sa chanson, que tout le monde reprendrait en
chœur. Les mineurs étaient ainsi, ils aimaient beaucoup s’amuser, faire la fête.
C’était pour eux un moyen d’évasion nécessaire, qui leur permettait d’oublier, pendant
quelques instants, la dure réalité de leur vie. Il leur fallait de telles
étapes au cours de l’existence de tous les jours qui, sans ces quelques
réjouissances, serait vite devenue difficilement supportable.
    Je passai aussi, cette année-là, mon certificat d’études. J’y
allai avec une appréhension qui me mettait une boule dans l’estomac, mais les
épreuves me parurent faciles et je me détendis rapidement. Nous eûmes les résultats le soir
même. Lorsque je rentrai à la maison, à la question de mes parents :
« Alors ?… », je pus répondre, dans une explosion de joie :
    — Je suis reçue !
    Car, dans notre milieu, le certificat d’études avait son
importance. Ceux qui l’obtenaient en concevaient une fierté toute légitime.
    L’institutrice convoqua mes parents, et leur expliqua que je
pouvais, si je le voulais, m’inscrire au concours d’entrée à l’École normale. Ils
me demandèrent si cela me tentait. Cela m’aurait plu d’étudier encore, et d’être,
plus tard, institutrice. Mais, d’un autre côté, j’étais effrayée, comme si je
sentais confusément que cela n’était pas pour moi, que je ne pouvais pas sortir
ainsi de ma condition. Il n’était pas bien vu, parmi les mineurs, que les
parents offrent à leurs enfants une instruction très poussée. Et j’étais trop
jeune pour réaliser la chance qui m’était offerte. Si j’avais vraiment insisté,
mes parents, dans leur incertitude, auraient probablement cédé. Mais je n’ai
rien dit, et ma mère a emporté ma décision, en déclarant :
    — J’ai besoin d’elle, à la maison. Elle m’aidera.
Si elle veut exercer un métier, elle sera couturière, comme moi.
    J’acceptai cet avis sans révolte. Il fut aussitôt en accord
avec quelque chose, en moi, qui me

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