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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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n’y suis pas encore habitué.
    Je ne pus que murmurer :
    — Oh, Charles ! C’est dur, comme travail ?
    — Ce n’est pas facile, mais il faut que je m’habitue.
Les autres le font bien, il y a même des filles. Alors, pourquoi n’y arriverais-je
pas ?
    Nous nous étions mis en marche ; je le regardai de
profil, et je sentais en moi monter une admiration pour son courage et son
abnégation.
    — C’est le début, je ne vais pas encore très vite,
et le surveillant est toujours après moi. Mais je vais apprendre, et d’ici peu
je ferai mieux que les autres, tu verras !
    Il fit un mouvement, et je vis ses mains. Irrépressible, mon
cri jaillit, horrifié :
    — Oh, Charles ! Tes mains !
    Il essaya de les dissimuler derrière son dos, mais je ne le
laissai pas faire. Je les saisis dans les miennes, les regardai, emplie de
pitié. Meurtries, écorchées, couvertes de griffes et de coupures, elles étaient
à la fois noires de charbon et rouges de sang. La peau en était arrachée, un
des ongles était cassé en deux. Charles, gêné, voulut les reprendre :
    — Allons, Madeleine, laisse-moi. Ce n’est rien, ça
va passer. C’est comme ça pour tout le monde, au début.
    Je levai les yeux vers lui, le cœur chaviré. Je découvrais
avec brutalité combien le travail de mineur est dur, impitoyable, et cela dès
les premiers temps. Charles m’était si proche que sa douleur devenait mienne. Je
n’étais pas loin de trouver son attitude stoïque. Moi, je ne savais pas être
aussi courageuse.
    Il m’assura que ce n’était rien, que ça ne faisait pas mal, que
dans quelques jours il n’y paraîtrait plus. Il me dit que j’étais sotte de me
mettre dans des états pareils pour si peu !
    Il avait raison, d’ailleurs. Par la suite, ses mains se
cicatrisèrent. Elles se couvrirent de callosités et de durillons qui firent, de
ses mains d’enfant, des mains de travailleur, et, avant l’âge, des mains d’homme.

5
    SANS heurts, la vie continuait : l’école, que j’aimais
toujours autant, les jeudis chez Juliette, les jeux dans le coron, et le
travail à la maison pour aider ma mère.
    Je ne voyais plus Charles que de loin en loin, il ne
participait plus à nos jeux, la vie s’était chargée de lui ravir son enfance. Je
me résignai, obligée d’accepter ce qui était, dans notre milieu de mineurs, inévitable.
Mais il me manqua, et les jeux, sans lui, n’eurent plus le même intérêt. Jusqu’alors,
il avait toujours été là pour me défendre ardemment dès qu’éclatait une dispute.
Privée de sa présence, je ne me sentais plus protégée.
    Lorsque, quelques mois plus tard, il descendit au fond, il s’intégra
définitivement à la corporation des mineurs. Il était devenu l’un des leurs, il
était, à son tour, une « gueule noire ». Les premiers temps, lorsque
je le rencontrais, il ne me parlait que de son travail. Il était galibot ;
pour commencer, il aidait, comme tous les débutants, un mineur en fin de
carrière à reboiser les chantiers affaissés en remplaçant les bois abîmés. Il
me disait, avec une fierté naïve et encore bien enfantine :
    — Je sais ce que c’est, maintenant, que de
travailler au fond. Je suis avec Victor, tu sais, le vieux Victor ? Il m’apprend
mon métier. Il est trop vieux pour grimper, alors il me passe les bois et c’est
moi qui fais le travail. Et ce n’est pas facile, car je dois en plus faire
attention à ma lampe, accrochée à l’épaule, et ne pas perdre mes outils. Il y a
aussi les wagonnets qu’il faut savoir éviter en se jetant rapidement sur le
côté, sans glisser sur le sol boueux. On ne les entend arriver qu’au bruit, on
ne les voit pas, dans le noir ! Mais le plus embêtant, pour moi, ce sont
les échardes de bois, elles déchirent mes vêtements et me rentrent dans la peau.
Regarde !
    Il me montrait les écorchures qui marquaient ses mains, ses
poignets, ses avant-bras. Le plus souvent, la poussière de charbon entrait dans
les coupures avant qu’elles eussent le temps de se cicatriser et s’incrustait
sous la peau. Les plaies finissaient par se refermer, mais le charbon qui
restait dedans laissait une trace indélébile, qui à la longue devenait bleue. La
mine avait ainsi son tatouage à elle, avec lequel elle marquait ses ouvriers du
fond, afin de mieux les assujettir, de leur prouver que, partout où ils
allaient, ils ne pouvaient cacher qu’ils lui appartenaient.
    — C’est le métier qui rentre,

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