La Poussière Des Corons
pleuraient de peur. Quant à nous, ce n’était pas non
plus uniquement l’obscurité et le froid qui nous faisaient frissonner.
Ces bombardements durèrent tout le printemps, puis, au début
de l’été, diminuèrent d’intensité. Au mois d’août, les Allemands commencèrent à
reculer, les villes occupées jusque-là furent libérées. Nous osions à peine
espérer. Qu’allait-il se passer ?…
Au mois de septembre, il y eut encore quelques bombardements.
Mais ce furent les derniers. À l’époque, nous ne le savions pas et nous étions,
une fois de plus, terrés dans la cave, la peur au ventre. Le petit Georges, à
la suite de ces nuits passées dans l’humidité, avait attrapé un refroidissement
et toussait. Le lendemain, il avait une forte fièvre et était couché.
J’allai le voir. Il était très rouge, et ne semblait pas
nous reconnaître. Marie, qui l’aimait beaucoup, ne quittait pas son chevet :
— Oh, Madeleine, me dit-elle, je suis inquiète. Si
ça continue, nous allons appeler le médecin.
Le lendemain, ma mère, à son tour, se plaignit de maux de
tête, de frissons, de vertiges. À la fin de l’après-midi, elle avait le teint
gris et ne tenait plus debout. Je la forçai à se coucher. Elle me parut avoir
beaucoup de fièvre. Toute la nuit, elle toussa, et le matin elle fut incapable
de se lever.
Je courus chez Marie.
— Marie, si tu fais venir le docteur pour ton
frère, envoie-le chez moi. Ma mère est malade aussi.
Rentrée chez moi, je ne savais que faire. Je fis boire à ma
mère un peu d’eau. Avec terreur, je me rendis compte qu’elle ne me
reconnaissait plus. Elle délirait, elle appelait mon père :
— Jean ! Où es-tu ? Viens !
Elle me repoussait quand je m’approchais d’elle. Elle me
disait :
— Qui es-tu, toi ? Ce n’est pas toi que je
veux, c’est Jean. Pourquoi ne vient-il pas ?
Lorsque le docteur arriva, je n’en pouvais plus. Il ausculta
ma mère, prit sa température – elle avait quarante et un degrés – et
regarda dans sa gorge.
— Oui, c’est encore un cas de cette maudite
épidémie qui vient de se déclarer ; beaucoup sont déjà atteints.
Il se tourna vers moi :
— Tu es seule pour la soigner ?
— Oui. S’il le faut, j’irai chercher Jeanne, ou
Marie.
Il nous connaissait bien, et ne fit pas d’objection. Il me
donna une potion, à administrer toutes les deux heures.
— Surtout, me dit-il, il faut essayer de faire
tomber la fièvre. Tu lui mettras des linges humides sur le front, à changer dès
qu’ils ne seront plus froids.
Je le remerciai. Il partit, appelé ailleurs par d’autres
malades, et je restai seule.
Je fis tremper des mouchoirs dans de l’eau fraîche, je les
tordis et en fis des compresses, que je posai sur le front de ma mère. Elle
avait les yeux fermés et était maintenant très rouge. La fièvre ne baissait pas.
J’étais très inquiète. C’était la première fois que je la voyais malade, et je
me sentais impuissante et démunie. Toute la nuit, je la veillai, assise dans le
fauteuil près du lit. Je somnolais par moments, et j’étais réveillée par un
gémissement ou une quinte de toux. Je lui donnai régulièrement sa potion, changeai
les compresses qui, après quelques minutes de contact avec son front, devenaient
sèches et brûlantes. Que pouvais-je faire d’autre ?
Le lendemain, Jeanne vint me voir. Elle m’aida à renouveler
le lit et à changer ma mère, car elle avait tellement transpiré que sa chemise,
l’oreiller et le drap étaient trempés.
— C’est bon signe, dit Jeanne, elle élimine le
mal.
— Et Georges, comment va-t-il ?
Elle eut une moue inquiète :
— Pas beaucoup mieux. Il avait déjà, depuis
plusieurs jours, un gros rhume. Il a encore beaucoup de fièvre…
Elle m’aida à mettre un peu d’ordre dans la maison, mais ne
s’attarda pas. Son enfant avait besoin d’elle.
— Ça ira, Madeleine, tu te débrouilleras ?
— Oui, merci, ne vous inquiétez pas.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens nous
chercher, ou frappe au mur, nous viendrons.
A midi, je mangeai un morceau de pain, puis je m’installai
dans le fauteuil. Ma mère reposait, plus calme semblait-il. La fatigue eut
raison de moi, et je m’endormis.
Lorsque je m’éveillai, j’eus la joie de voir que ma mère
avait les yeux ouverts. Sa fièvre semblait avoir baissé. Je sautai sur mes
pieds :
— Maman, comment vas-tu ? As-tu mal ?
— J’ai
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