Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
Vom Netzwerk:
pour
elle-même :
    — Pauvre, pauvre enfant ! Enfermée dans ma
détresse, je ne me rendais pas compte. Oui, tu as raison, je ne peux pas te
laisser. Jean m’attendra un peu plus longtemps, il comprendra.
    Elle me prit contre elle, je la serrai dans mes bras. Et les
larmes que nous avons versées ont emmené avec elles tout un monde de
destruction et de douleur pour ne laisser que notre amour intact, nous liant l’une
à l’autre plus étroitement que jamais.
    *
    A partir de ce jour, elle réagit beaucoup mieux, elle se
remit à vivre. J’avais eu si peur de la perdre que chacun de mes gestes envers
elle ressemblait à une action de grâces. Je veillais à lui éviter toute fatigue,
et nous avons puisé dans notre amour mutuel la force de vivre avec l’absence
définitive de mon père.
    Georges avait été longtemps malade. Je lui rendis visite. Il
allait mieux, mais, comme ma mère, semblait très faible. Marie, qui s’était
épuisée à le soigner, me dit :
    — Je le sauverai, je ne le laisserai pas mourir. Je
lui donnerai mes forces, s’il le faut. Sais-tu, Madeleine, que, quand il avait
beaucoup de fièvre, je me suis couchée contre lui pour lui prendre son mal ?
    Je ne savais que répondre, devant tant d’abnégation. Marie
avait un don de sacrifice que je ne possédais pas. Je la regardai et lui
trouvai le teint plombé, les yeux ; cernés, les traits tirés de fatigue et
d’épuisement.
    Le lendemain, j’appris sans surprise qu’à son tour elle
était malade. Je croisai le médecin alors qu’il sortait de chez elle. Je l’interrogeai.
Il baissa la tête, embarrassé :
    — Elle est très atteinte… Elle ne semble plus
avoir de forces à opposer à la maladie, elle les a usées à soigner son frère.
    — Elle va guérir, quand même ?
    — Je ne peux rien dire. C’est en ce moment que la
maladie est la plus violente.
    Je savais que c’était vrai. Des gens mouraient chaque jour, et
ces derniers jours il y avait eu encore plus de victimes. C’était une épidémie
d’une ampleur qu’on n’avait jamais vue. Elle était d’autant plus virulente qu’elle
s’attaquait à des personnes dont l’organisme ; était affaibli par les
rigueurs de la guerre. J’ai su, par la suite, que cette maladie, qui fut
appelée grippe espagnole, fit plus de victimes civiles en quelques mois que la
guerre en quatre ans. Si bien que rares furent les foyers qui n’eurent pas à
déplorer un décès, causé soit par la guerre, soit par la maladie.
    Dans les jours qui suivirent, cependant, l’épidémie, après
avoir été plus meurtrière que jamais, sembla régresser. Il n’y eut plus de
nouveaux malades. Et, parmi ceux qui étaient atteints, il y eut moins de décès.
    J’allai voir Marie. La fièvre l’avait minée. Elle avait un
petit visage, translucide, amenuisé. Elle était si faible qu’elle pouvait à
peine parler. Elle me tendit une main tremblante :
    — Madeleine…
    Voir Marie, habituellement vive comme un oiseau, réduite à
un tel état de faiblesse était plus que je n’en pouvais supporter.
    — Guéris vite, Marie…
    Elle dit, dans un souffle :
    — Je n’en aurai pas la force. Mais ne sois pas
triste, Madeleine. Je donne ma vie sans regrets pourvu que vive Georges.
    A ce moment, je me suis rappelé la phrase que nous disait
souvent M. le Curé : « Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour
que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Alors je n’ai pas pu résister.
Je me suis penchée vers Marie, je l’ai embrassée, et, ma joue contre la sienne,
j’ai pleuré, sans pouvoir m’arrêter.
    Marie fut la dernière victime de l’épidémie. Après elle, il
n’y eut plus de décès. Elle mourut, mon amie Marie, pour avoir voulu sauver son
petit frère. Sa mort m’a causé un chagrin immense. C’était, avec elle, toute
une partie de mon enfance qui s’en allait. Je revoyais, pêle-mêle, nos jeux, sa
présence près de moi, à l’école, je me rappelais son amitié, sa loyauté, sa gentillesse.
Elle aussi, elle m’était ravie, et la blessure de mon cœur qui saignait depuis
la mort de mon père se rouvrit et saigna davantage.
     
    Lorsque, le 11 novembre, l’armistice fut signé, la nouvelle
ne nous causa pas la joie tant attendue. Les sirènes se mirent à retentir, et
ce n’était pas, cette fois, dans l’annonce d’un bombardement ou d’une alerte. Les
cloches de l’église sonnèrent joyeusement, et des drapeaux fleurirent un

Weitere Kostenlose Bücher