La Poussière Des Corons
encore un peu mal à la tête, et à la gorge…
— C’est l’heure de ta potion.
Je la lui donnai, heureuse de voir qu’elle me reconnaissait,
qu’elle allait mieux. Le docteur arriva à ce moment-là, trouva, lui aussi, une
amélioration, et dit de continuer la potion jusqu’à sa prochaine visite.
Mais, dans la nuit, la fièvre revint. Ma mère se remit à
délirer, appelant mon père de nouveau, et moi-même. Elle criait :
— Madeleine ! Madeleine ! Où es-tu ?
Pourquoi ne réponds-tu pas ?
Je m’approchai du lit, inquiète :
— Je suis là, maman, je suis là.
— Qui es-tu ? C’est Madeleine que je veux.
— Mais c’est moi, maman, je suis Madeleine.
De nouveau, elle me repoussait :
— Tu n’es pas Madeleine. Où est Madeleine ? Va
la chercher, je veux la voir.
Si j’insistais, elle se débattait. Elle me faisait peur, j’étais
dépassée par cette maladie qui changeait ma mère en une étrangère qui ne me
reconnaissait pas. J’ai pleuré, cette nuit-là, au chevet de ma mère, de
solitude et d’impuissance. C’était trop, je n’en pouvais plus. N’avait-il pas
suffi que mon père fût mort, déjà ?
A l’aube, elle reposait plus calmement. Épuisée, je dormis
quelques heures. Dans la matinée, Antoinette, l’une de nos voisines, qui avait
appris par Jeanne la maladie de ma mère, vint nous voir. Elle m’aida à faire le
ménage, puis à laver ma mère quand celle-ci fut réveillée. J’étais allée vider
la cuvette d’eau sale et je revenais dans la cuisine lorsque j’entendis ma mère
qui disait :
— Si je pouvais mourir, je le rejoindrais, tu
comprends…
Volontairement bourrue, Antoinette la rabroua :
— Louise, tu n’as pas le droit de dire une chose
pareille ! Pense à ta fille, tu dois vivre pour elle. Que deviendrait-elle,
la pauvrette ?
Je reçus un coup au cœur. D’apprendre, d’abord, que ma mère
souhaitait mourir, de réaliser, ensuite, que sans elle je n’aurais plus rien. Alors
j’eus peur.
Antoinette partit, puis, vers midi, Jeanne m’apporta à
manger, mais je n’avais pas faim. Elle m’apprit que Marie ne quittait pas le
chevet de Georges, qui n’allait toujours pas mieux.
Ma mère passa l’après-midi à dormir, et, le soir, lorsque le
docteur revint, il la trouva mieux. Elle n’avait plus de fièvre, mais se
sentait extrêmement faible.
— C’est normal, lui dit-il. Il faut maintenant
reprendre des forces.
Il donna un sirop de vitamines, à cet effet, et me dit, alors
que je le reconduisais à la porte :
— Elle est sauvée, je pense. Tant mieux, j’en
suis heureux pour toi, Madeleine. Cette maladie est mortelle, elle fait
beaucoup de victimes.
Cette nuit-là, ma mère dormit calmement. Pour la première
fois depuis sa maladie, je pus prendre une nuit de vrai repos.
Les jours suivants, elle se leva, mais resta complètement
anéantie, sans réaction.
— C’est normal, disait le médecin, à qui je
faisais part de mon inquiétude. Il y a une asthénie intense qui se prolonge
après la guérison.
Mais moi, j’avais peur-Je voyais bien que ma mère ne
reprenait pas goût à la vie, et je me souvenais des paroles qu’elle avait dites
à Antoinette. Au bout de quelques jours, la voyant toujours pareille, pâle et
donnant l’impression de se laisser couler, je ne pus retenir mes larmes. Elle
était assise, près du feu, et restait là, des journées entières, les mains
croisées sur les genoux, les yeux vagues, regardant droit devant elle, dans le
vide.
Je m’approchai, m’agenouillai près d’elle. J’appelai, doucement :
— Maman…
Elle tourna son regard vers moi, avec une sorte de surprise
douloureuse :
— Madeleine ! Tu pleures ?
Alors j’ai sangloté, longuement, éperdument. Et, entre mes
sanglots, j’essayai de lui parler, de lui expliquer que j’avais besoin d’elle, qu’elle
ne devait pas me laisser, qu’elle devait revenir avec moi, parce que c’était
déjà assez dur pour moi de n’avoir plus mon père. Je ne sais plus tout ce que j’ai
dit, mais mon cri était désespéré :
— Ne pars pas ! Reste avec moi, j’ai tant
besoin de toi !
Quand j’ai levé les yeux vers elle, j’ai vu qu’elle pleurait.
Les larmes coulaient sur son visage, et semblaient purifier son regard. Il me
parut plus clair, il n’était plus tourné vers sa propre souffrance, il semblait
délivré d’une obsession. Elle me caressa les cheveux, et murmura, comme
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