La Poussière Des Corons
qui conduisait à la sortie du village. Les
maisons étaient fleuries, les fenêtres ouvertes laissaient échapper des odeurs
de cuisine alléchantes. Un cheval, attelé à une charrette, attendait patiemment,
le long du trottoir, que son maître vînt le rejoindre. Je m’approchai et lui
caressai le museau. J’aimais bien les chevaux, leur placidité, leurs yeux doux
et graves derrière les œillères en cuir. Je lui murmurai quelques paroles, en
regrettant de n’avoir pas de morceau de sucre à lui donner.
A ce moment, une automobile surgit, dans un bruit d’enfer. Elle
passa tout près du cheval, qui eut peur. Il roula des yeux affolés, et, avec un
hennissement terrorisé, se cabra. Je n’eus pas le temps de m’écarter. Le sabot
d’une de ses pattes antérieures me heurta violemment l’épaule, et je tombai.
Je restai un moment sur le sol, étourdie. Des femmes
sortirent des maisons. L’une d’elles s’exclama :
— Encore une de ces maudites automobiles ! Ce
sont de véritables dangers !
Elle vint vers moi, m’aida à me relever, tandis que le
propriétaire du cheval s’efforçait de le calmer. La douleur de mon épaule me
fit grimacer. J’enregistrai machinalement, sans y faire attention, que le
conducteur de l’automobile s’était arrêté plus loin. Ce ne fut que lorsqu’il s’approcha
de nous que je le reconnus. Mon cœur me sauta à la gorge. C’était Henri.
— Je suis désolé, dit-il, ma voiture a effrayé
votre cheval…
De surprise, il s’arrêta en m’apercevant :
— Mais c’est Madeleine ! Comme tu as grandi !
Il y a bien longtemps que je ne t’ai vue. Tu es blessée ?
L’inquiétude fonçait ses yeux. Je le trouvai très beau. Je
gardais de lui le souvenir d’un adolescent, et c’était un homme que je
retrouvais. Un grand trouble m’envahit et je ne répondis pas.
Il se tourna vers les femmes présentes, qui nous regardaient
avec curiosité :
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je l’emmène.
Je la reconduirai chez elle.
Aucune ne fit d’objection. Qu’auraient-elles pu dire ? Elles
avaient reconnu Henri, le fils du directeur de la mine. Elles n’osèrent pas
critiquer ouvertement le fait qu’il eût effrayé le cheval, mais leur regard en
disait long. Les automobiles, à cause du bruit et de la poussière qu’elles
faisaient, étaient mal acceptées. Certains les traitaient d’ « engins du
diable », et des incidents comme celui que je venais de subir n’étaient
pas rares.
— Comme tu es pâle, Madeleine ! Viens.
Il me prit le bras et m’entraîna, avec douceur et
sollicitude. Il me fit monter, et je me laissai tomber sur le siège. Une
faiblesse me saisissait et le coup de sabot du cheval n’en était pas la seule
cause.
Il monta à son tour, me regarda avec inquiétude :
— Ça va, Madeleine ?
Dans un état second, je le vis déboucher un flacon, verser
quelque chose dans un gobelet qu’il me tendit.
— Tiens, bois. C’est le choc, tu as eu peur. Ça
ira mieux ensuite.
D’une main qui tremblait, je pris le gobelet et je bus une
gorgée. L’alcool me fit tousser, mais m’aida à reprendre pied dans la réalité. Je
me sentis mieux.
— Ah, tu vas mieux, dit Henri, d’une voix
soulagée. Les couleurs reviennent à tes joues. Comme tu étais pâle !
Il ajouta, plus bas :
— Tu m’as fait peur…
Je croisai son regard, dont l’intensité me fit baisser les
yeux. Je remarquai qu’il était vêtu d’un costume clair, à côté duquel ma robe noire
paraissait bien triste et bien terne.
— On peut y aller, Madeleine ? Je roulerai lentement.
N’aie pas peur.
Je hochai la tête, mais je n’étais pas rassurée. Lorsque la
voiture démarra, je fus surprise par les vibrations. Le bruit était tel qu’il
aurait fallu crier pour s’entendre. Au bout de quelques instants, pourtant, je
m’appuyai au siège et me détendis. L’alcool faisait son effet ; le
tremblement nerveux que je sentais en moi s’atténua, puis disparut. Je regardai,
autour de moi, le paysage défiler, et c’était une sensation nouvelle, exaltante.
La présence d’Henri à mes côtés me troublait. Je me souvenais d’une promenade
identique, plusieurs années auparavant, quand il m’avait ramenée sur son vélo. L’attrait
qu’il exerçait sur moi était de nouveau là, intact. Et j’avais trop conscience
de mon insignifiance pour penser qu’il pourrait être réciproque.
Il se tourna vers moi, et
Weitere Kostenlose Bücher