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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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me glissa à l’oreille, complice :
    — Je crois qu’Henri nous emmènera faire un tour
en automobile.
    Le samedi, je lavai et repassai ma robe des dimanches, je me
baignai et me lavai les cheveux plusieurs fois de suite, afin qu’ils fussent
doux et brillants. En les brossant devant le miroir de la cuisine, je remarquai
que mes joues étaient roses et que mes yeux étincelaient. Pour la première fois,
je me trouvai jolie. Mes cheveux châtains s’harmonisaient bien avec mes yeux
noisette, mon petit nez court était charmant, ma bouche ni trop grande ni trop
petite, et mes dents étaient blanches et brillantes. Je désirais de toutes mes forces
qu’Henri me trouvât jolie. Mes mains me désolaient ; elles étaient rêches,
à cause des travaux ménagers. Mais je me consolai en me disant que mon travail
de couturière me laissait au moins des mains propres et blanches, contrairement
à celles qui étaient « cafus » et qui triaient le charbon huit heures
par jour.
    Le dimanche, je m’habillai et me coiffai avec soin. Au début
de l’après-midi, je n’y tenais plus. L’impatience me mettait des picotements
dans les mains. Des voisines vinrent rendre visite à ma mère, et se mirent à
papoter devant une tasse de café.
    — Au revoir, dis-je à ma mère, je vais chez
Juliette.
    — Ne rentre pas trop tard, Madeleine.
    Je promis, et partis sans regrets. Je n’avais pas parlé à ma
mère d’Henri, sans m’expliquer au juste pourquoi. Peut-être était-ce parce que
je craignais qu’elle ne mît un obstacle à nos rencontres ? Je sentais, obscurément
mais avec certitude, qu’Henri se trouverait souvent sur mon chemin. Autour de
moi, la campagne avait revêtu sa parure verte et fleurie de printemps. Le ciel
était d’un bleu intense et profond, le soleil était lumineux et chaud, et les
oiseaux qui chantaient dans les arbres chantaient aussi dans mon cœur.
    Juliette m’attendait, sur le chemin qui menait à sa maison. Elle
se précipita au-devant de moi :
    — Viens vite, Madeleine ! Henri nous attend.
Il veut nous emmener promener en automobile.
    Elle me prit la main, m’entraîna. Devant le portail de la
maison, Henri, en effet, nous attendait. Avec un chiffon, il était occupé à
faire briller la voiture, déjà étincelante. Il se tourna vers moi, me tendit la
main, me sourit :
    — Bonjour, Madeleine. Comment vas-tu ?
    La timidité enrouait ma voix alors que je répondais :
    — Bonjour, Henri. Je vais bien, merci…
    Je le trouvai encore plus beau. Son sourire était chaleureux,
et son regard, lorsqu’il se posait sur moi, ressemblait à une véritable caresse.
    — Eh bien, dit Juliette, partons-nous ?
    — Que ces demoiselles prennent place dans mon
carrosse ! dit Henri en s’inclinant, et je sentis mon sourire répondre au
sien.
    Juliette grimpa, et je montai à côté d’elle. Henri tourna la
manivelle, mit le moteur en marche. Il nous fit mettre des lunettes de
protection.
    — Tu vas voir, me dit Juliette, avec ça nous
allons ressembler à des gros hiboux !
    C’était vrai, et cela nous fit bien rire. En riant encore, nous
sommes partis, dans un vacarme et une poussière épouvantables. Nous nous sommes
mis à chanter fort pour couvrir le bruit. La proximité d’Henri, dont je n’étais
séparée que par Juliette, et dont j’apercevais les mains posées sur le volant
en bois, agissait sur moi comme un vin capiteux et me grisait. Nous avons
traversé des champs, des bois, quelques villages. Les personnes que nous
croisions se jetaient sur le côté ; parfois, les vieux se signaient avec
terreur. Cela me faisait rire. Je ne me reconnaissais plus. Moi si posée, si
calme, si raisonnable, j’avais subitement envie de sauter hors des sentiers
battus et de me saouler de liberté.
    Par moments, Henri accélérait. Juliette et moi nous prenions
peur. Nous nous cramponnions, nous criions :
    — Pas si vite ! Pas si vite !…
    Henri riait, et ralentissait, en nous traitant de poltronnes.
Je sentais monter en moi un désir irrépressible de vivre, de rire, de m’amuser,
d’être insouciante et folle.
    Ce ne fut que lorsque Henri eut arrêté la voiture devant le
portail que je reconnus la maison. J’étais ivre de grand air, de soleil, de
bruit, et de la présence d’Henri auprès de moi. Il m’aida à descendre et je
titubai, victime d’un étourdissement. Il me retint contre lui un instant. Le
trouble que je ressentis me fit reculer précipitamment. Il

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