La Poussière Des Corons
dit :
— Je t’emmène chez moi, Madeleine, Juliette s’occupera
de toi. Tu ne peux pas rentrer dans cet état. Inutile d’inquiéter ta mère.
Je ne répondis pas. J’étais étrangement incapable de réagir.
En sa présence, je n’étais plus moi-même. Il devait me croire muette : je
n’avais encore prononcé aucune parole. J’eus peur de lui paraître stupide. J’aurais
voulu être à l’aise et brillante, au moins ne pas montrer qu’il m’intimidait. J’évitais
de le regarder, afin qu’il ne lût pas dans mes yeux ce que je voulais lui
cacher.
Comme dans un rêve, nous avons traversé le coron, passé
devant la mine. Juliette était dans le jardin de sa maison. Elle cueillait des
fleurs. Elle me vit et accourut :
— Que se passe-t-il ? Madeleine, qu’y a-t-il ?
Elle me tendit les mains, me fit descendre. Contre elle, je
titubai.
— Mon Dieu, Henri, qu’y a-t-il ?
Il le lui expliqua en quelques mots. Son regard inquiet ne
me quittait pas, et j’y lisais une douceur, un intérêt que je n’osais pas
interpréter.
— Viens, Madeleine, me dit Juliette.
Elle m’emmena dans la maison. En me voyant dans le miroir du
hall, je fus horrifiée. J’étais très pâle, des traînées de poussière maculaient
mes joues. Mes cheveux étaient décoiffés, des mèches s’étaient échappées et
pendaient de mon chignon. Ma robe était grise de poussière, elle aussi. La
honte me saisit quand je pensai qu’Henri m’avait vue dans un état aussi
lamentable.
Juliette m’emmena dans sa chambre. Elle frictionna doucement
mon épaule endolorie avec une pommade. Ce n’était pas grave, je pouvais bouger
le bras, je n’avais rien de cassé. Je me lavai le visage, les mains, et me
recoiffai. Je brossai ma robe, et je me sentis redevenir moi-même. Je fus
capable de sourire à Juliette :
— Merci, lui dis-je d’une voix qui tremblait un
peu. Maintenant il faut que je parte. Ma mère va s’inquiéter.
— Attends, me dit-elle, je t’accompagne.
Dehors, Henri faisait les cent pas devant le perron. En nous
voyant, il se précipita vers nous, ne regardant que moi seule :
— Ça va mieux, Madeleine ?
— Oui, merci, dis-je.
C’étaient les premières paroles que je lui adressais depuis
notre rencontre.
— Je reconduis Madeleine chez elle, dit Juliette.
Il fait beau, prendre l’air nous fera du bien.
Henri se pencha vers moi, me prit la main :
— Alors, au revoir, Madeleine. Et toutes mes
excuses… Si j’avais pu prévoir, j’aurais roulé moins vite. À bientôt, j’espère.
Je retirai ma main, troublée, je murmurai :
— Oui, au revoir, et merci.
Nous sommes parties, Juliette et moi, le laissant là. Je ne
me suis pas retournée, mais j’ai senti son regard qui me suivait, longtemps. Juliette
babillait, mais je ne l’écoutais pas. Une grande confusion emplissait mon
esprit. Il me semblait que l’incident qui s’était produit allait être lourd de
conséquences. Et je crois que, à l’exaltation que je ressentais, se mêlait de
la peur.
A la maison, où Juliette avait tenu à m’accompagner, nous
avons raconté à ma mère ce qui s’était passé, la rassurant en même temps. Ma
mère eut peur, après coup. Elle me serra dans ses bras :
— Dire que tu aurais pu être tuée, Madeleine !
Si tu avais reçu le coup de sabot à la tempe…
— Allons, dit Juliette, ne vous tourmentez pas
avec ce qui n’est pas arrivé ! Madeleine en sera quitte avec un bleu, voilà
tout.
Elle avait raison. J’eus l’épaule marbrée de bleu, les jours
suivants, et une douleur à chaque mouvement qui disparut assez rapidement. Mais
cela, c’était secondaire. Une autre découverte m’emplissait à la fois de
crainte et de ravissement : je venais de comprendre que j’aimais Henri. Après
avoir été longtemps enfoui au fond de mon cœur, mon amour pour lui maintenant
jaillissait et l’occupait tout entier.
Ce fut le commencement d’une nouvelle période, celle où j’eus
l’impression de vivre sur un nuage rose. Après tant de sacrifices et de larmes,
c’était si doux de me sentir heureuse que je n’arrivais pas à y croire. Je
faisais mon travail habituel, le ménage, la lessive, je passais des heures à la
machine à coudre, tout cela dans un état second. Je rêvais tout éveillée, j’avais
continuellement l’image d’Henri dans mon cœur.
La semaine suivante, Juliette vint m’inviter à aller chez
elle le dimanche après-midi. Elle
Weitere Kostenlose Bücher