Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
Vom Netzwerk:
regardai, littéralement abasourdie. Ce qu’il me disait
était tellement imprévu que j’avais l’impression de rêver. Il dut lire sur mon
visage ma surprise, mon désarroi, me prit la main, et demanda, avec une sorte d’angoisse :
    — Tu… tu n’es pas d’accord, Madeleine ?
    Je compris que j’allais lui faire mal, et je baissai la tête.
Non, ce n’était pas possible. Charles, je l’aimais bien, mais je ne l’aimais
pas, pas pour l’épouser en tout cas. Et puis mon cœur était plein de l’image d’un
autre. Mais, même si Henri n’avait pas existé, je devais reconnaître que je n’aurais
jamais pensé à épouser Charles.
    Je le regardai de nouveau, malheureuse. L’espoir et l’inquiétude
se mêlaient dans le regard dont il m’enveloppait, avec une intensité qui me fit
rougir. J’y lisais aussi l’aveu d’un amour auquel il m’était impossible de
répondre. Ma voix tremblait lorsque je dis :
    — Mais, Charles… Je… je ne sais pas… Je t’aime
bien, mais sans plus… Je ne veux pas t’épouser, Charles…
    Je n’ai pas compris combien, à lui, mes paroles ont dû
paraître cruelles. Il eut un cri de passion, de douleur, de révolte :
    — Mais, Madeleine… Je t’aime tant !
    J’eus un geste d’impuissance :
    — Charles, je ne peux pas. Comment veux-tu ?
Je t’aime beaucoup, comme un frère, mais c’est tout.
    Je vis son regard s’éteindre. Il baissa la tête, avec
accablement. J’eus pitié de lui. Mais que faire d’autre, aussi ? Je ne l’aimais
pas comme il l’aurait voulu, et je n’y pouvais rien.
    Je posai ma main sur la sienne :
    — Charles, ne sois pas triste… Ce n’est pas ma
faute… Tu es toujours mon ami, quand même ?
    Il se leva, avec effort, avec lassitude, vieilli soudain :
    — Oui, je suis toujours ton ami. Et comme tu le
dis, ce n’est pas ta faute. Mais je ne pourrai pas cesser de t’aimer, Madeleine.
Tant que tu seras libre, j’espérerai toujours.
    Je ne répondis rien, n’ayant plus le courage de le détromper.
Mais je savais bien, moi, que je ne l’aimerais jamais. Il serait toujours mon
ami d’enfance, un ami très cher, et rien d’autre.
    Il repartit chez lui, les épaules basses. J’éprouvais un
sentiment de culpabilité qui me mit de mauvaise humeur. Après tout, je n’y
pouvais rien, moi, s’il m’aimait. Je n’avais jamais rien fait pour ça. J’essayai
de me persuader qu’il se consolerait.
    Le soleil se couchait, un brusque coup de vent fit frémir
les feuilles des arbres, et je frissonnai. Je rangeai mes outils et rentrai
chez moi. Ma mère, dans la cuisine, préparait le repas. Tout en me lavant les
mains dans l’arrière-cuisine, je lui racontai ce qui venait de se passer. Je me
sentais troublée, mal à l’aise ; j’avais besoin du réconfort maternel.
    — Tu ne l’aimes vraiment pas, Madeleine ? me
demanda ma mère.
    — Non. Je l’aime bien, c’est tout. Je n’ai pas du
tout envie de l’épouser, je n’ai jamais pensé à lui comme à un mari.
    Ma mère soupira :
    — Je ne veux pas te forcer. Il ne faut pas te
marier sans amour. Mais, tu sais, c’est un brave garçon, et je crois qu’il t’aime
sincèrement.
    Je haussai les épaules, en un geste d’impuissance. Je ne
voulais pas avouer que mon cœur était pris. Ma mère ne m’aurait pas approuvée, je
ne le savais que trop.
    — Je n’y peux rien, je ne veux pas me marier avec
lui.
    Ma mère me serra contre elle :
    — De toute façon, tu as bien le temps, tu n’as
que dix-neuf ans. Et moi, égoïstement, je préfère te garder le plus longtemps
possible.
    Et nous n’en avons plus parlé. Charles non plus, ne me dit
plus jamais rien. Mais, à partir de ce jour-là, je me rendis compte, quand je
croisais son regard, de l’adoration muette et passionnée qui emplissait ses
yeux.
     
    Bientôt, je n’y pensai plus. Mon amour pour Henri emplit de
plus en plus ma vie. Tous les dimanches, Juliette venait me chercher, ou bien
me donnait rendez-vous, et nous sortions tous les trois. Je me sentais
entraînée dans un tourbillon de folie. Je garde de cet été le souvenir d’un
bonheur éperdu, insouciant, merveilleux, qui finit par me faire perdre la tête.
    Le dernier dimanche de juin, il y eut, comme tous les ans à
la même époque, la ducasse du village. La ducasse, chez nous, c’est la fête
foraine, avec les manèges, les balançoires, les jeux, les stands de tir, les
concours. Elle a lieu deux fois par an, en

Weitere Kostenlose Bücher