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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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je me retournai pour lui faire signe, puis, heureuse,
avec la sensation de marcher sur des nuages, je pris le chemin qui me ramenait
à la maison.
     
    En arrivant dans le coron, je vis Charles. Il m’appela :
    — Madeleine ! Attends-moi !
    Il me rejoignit, un grand sourire aux lèvres. Je l’accueillis
en m’efforçant de ne pas lui montrer que sa présence me contrariait. J’aurais
préféré rester seule, dans l’univers rose et bleu de mes pensées, alors que
Charles m’obligeait à reprendre pied dans la réalité.
    — D’où viens-tu, Madeleine ?
    — De chez Juliette, dis-je brièvement.
    — Moi je suis allé assister au match de football,
m’expliqua-t-il alors que je ne lui demandais rien. Mon père est resté au
cabaret avec ses copains, mais j’ai préféré rentrer. Je ne suis pas tranquille
si je sais que ma mère est longtemps seule. Avant, il y avait Marie pour lui
tenir compagnie, mais maintenant…
    La voix lui manqua. Il s’interrompit. J’ai honte de l’avouer,
mais je lui en voulus de me ramener vers des choses tristes.
    Je dis, assez sèchement :
    — Elle n’est pas seule. Quand je suis partie, elle
était chez moi, avec ma mère et les autres voisines. Et puis il y a Julien et
Georges, quand même !
    — Julien et Georges ne restent pas avec elle, ils
sont toujours dehors à jouer avec d’autres garnements. Tu sais bien, Madeleine,
rien ne peut, pour elle, remplacer Marie…
    Oui, je le savais. Et je regrettais que la présence de
Charles à mes côtés vînt réveiller en moi une tristesse, un chagrin que je
croyais oubliés. Il me venait une culpabilité d’avoir oublié totalement, même
pour peu de temps, mon amie Marie.
    Je regardai Charles avec rancune. J’étais si heureuse avant
sa venue ! Je n’attendis pas d’être arrivée devant chez moi pour le
quitter rapidement et le planter là. Son regard surpris et blessé me fit mal, et
fit que je me sentis encore plus coupable.
    Ma mère m’attendait.
    — Alors, tu t’es bien amusée ? me
demanda-t-elle.
    Je lui racontai la promenade en automobile. Je ne pus m’empêcher
de lui parler de ma conversation avec Charles, de mon sentiment de Culpabilité.
Qu’étais-je, pour oublier ainsi que Marie, que mon père nous avaient quittés à
jamais, pour ressentir le besoin de vivre, de m’amuser, sans penser un seul
instant à eux ?
    Ma mère comprit, et me rassura :
    — Tu ne les oublies pas, Madeleine, mais tu
continues à vivre, et tu es jeune. Tu dois faire ta vie, c’est dans l’ordre des
choses.
    Elle parla encore longtemps, elle me dit que je ne devais
pas me punir ou me priver d’être heureuse simplement parce que mon père et
Marie n’étaient plus.
    — Ce n’est pas ce qu’ils auraient souhaité pour
toi. Au contraire, ils auraient voulu que tu sois heureuse. Alors, n’aie pas de
remords.
    J’embrassai ma mère. Elle me serra contre elle, et je me
sentis rassérénée.

4
    LE lendemain, nous apprîmes que les mineurs s’étaient mis en
grève. Nous avions moins de contacts avec la mine, maintenant que mon père n’était
plus là. Mais nous habitions toujours dans le coron, nous étions toujours
environnées de mineurs, et nos préoccupations demeuraient les mêmes que les
leurs.
    Depuis 1914, les prix avaient triplé. Les revendications de
la grève étaient une augmentation de salaire, et huit heures de travail
effectif, y compris la durée de la descente et de la remontée, ainsi que celle
du trajet.
    — Tu comprends, m’expliqua Charles, lorsque notre
travail est terminé, nous devons encore attendre, quelquefois une demi-heure, trois
quarts d’heure, avant de remonter, que les wagons soient chargés et que la cage
soit libre. Quant aux salaires, beaucoup ne s’en sortent plus, en gagnant la
même quinzaine qu’avant la guerre, alors que tout coûte trois fois plus cher.
    Je savais qu’il disait la vérité. Mais une grève pouvait
mener loin. Je gardais toujours le souvenir effrayé de la grève de 1906, pendant
laquelle j’avais, pour la première fois de ma vie, connu la faim, et découvert
la haine et la violence. Si celle-ci s’éternisait, il y aurait les mêmes
problèmes. Ma mère et moi, pourtant, n’étions plus directement concernées. Pour
nous faire vivre, nous avions la pension de veuve de guerre de ma mère et notre
travail de couturières. Nous étions loin d’être riches, mais nous étions à l’abri
du besoin.
    Nous vivions dans de meilleures

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