La Poussière Des Corons
suffisait pas, la tragédie intervint
une fois de plus dans ma vie.
C’était au début de l’été. Un soir, Charles, qui me parlait
de tous ses ennuis au travail, me dit qu’il avait remarqué, avec d’autres, de
fortes émanations de grisou à un endroit précis.
— Je l’ai montré au responsable de la sécurité. Il
y a une infiltration de gaz qui peut devenir dangereuse. Les souris que nous
avons placées comme témoins aux endroits suspects étaient à moitié mortes. Il l’a
signalé à l’ingénieur. Sais-tu ce qu’il a répondu ? Qu’il n’y avait pas de
quoi s’effrayer, que cela n’était de toute façon pas une raison pour ralentir
la production. Le rendement, la production, ils n’ont que ces mots-là à la
bouche !
Je savais que c’était la vérité. Pour la compagnie, le
rendement était bien plus important que le respect de la vie humaine. Je savais
aussi, pour en avoir entendu parler autour de moi depuis mon enfance, que le
grisou était très dangereux. Il s’accumulait, et une simple étincelle suffisait
pour provoquer une explosion. Dans l’histoire de la mine, de nombreuses
catastrophes avaient eu pour cause le grisou, et les mineurs le craignaient
avec raison.
Les jours suivants, Charles me dit que rien n’avait été fait.
Les mineurs eux-mêmes avaient essayé de colmater, mais c’était insuffisant. Le
grisou continuait de s’infiltrer. Je n’étais pas tranquille, d’autant plus que
Jean remarquait qu’il avait la tête lourde et les jambes flageolantes.
— Vous devriez refuser de travailler dans de
telles conditions. Ne pouvez-vous rien faire ?
Dans un geste d’impuissance, Charles haussa les épaules :
— Que faire, Madeleine ? Faire grève ? Il
y en a suffisamment en ce moment. Et puis, une grève, pour être efficace, doit
être générale. Là, elle ne serait que partielle. Les mineurs qui travaillent
dans les autres galeries ne sont pas concernés.
— Par solidarité, ils feront la grève avec vous.
— Peut-être. Mais c’est difficile. Au premier mot,
on nous menace de nous renvoyer. Et si nous sommes renvoyés, que ferons-nous ?
Tu sais bien qu’on n’embauche nulle part, en ce moment.
Accablée, j’insistai, néanmoins :
— Mais c’est dangereux de continuer à travailler
dans de telles conditions. Il faut faire quelque chose quand même !
— Demain, promit Charles, j’en parlerai au
responsable du syndicat. Nous verrons ce que nous pouvons faire.
Mais il n’en eut pas le temps. Le lendemain matin très tôt
– ils venaient à peine de descendre – la sirène d’alarme a retenti.
J’étais dans la cuisine, où je buvais une tasse de café avant de commencer ma
journée de travail. Quand je l’ai entendue, j’ai senti tout mon corps se
pétrifier. J’ai posé ma tasse, je me suis précipitée dehors. Partout, les femmes
sortaient de leurs maisons. La même appréhension se lisait dans les regards.
Nous avons couru jusqu’à la fosse. Devant la grille, nous
avons attendu, immobiles, le cœur serré par la crainte et l’angoisse. Que se
passait-il ? Dans la froide grisaille de l’aube, je frissonnais. Les mots « coup
de grisou » coururent parmi nous sans que je pusse comprendre d’où ils
venaient. Je me souvenais d’une autre attente, dix ans auparavant, et je
ressentais les mêmes affres qu’alors, multipliées par deux : en plus de Charles,
je craignais maintenant pour mon enfant.
Mes beaux-parents, puis ma mère, vinrent me rejoindre. Anna
arriva, elle aussi. Côte à côte, silencieux, nous attendîmes. De nos cœurs, montait
la même prière : pourvu que… qu’ils soient sains et saufs, mon Dieu !
Celles du premier rang transmettaient les nouvelles. Une
équipe de sauveteurs était descendue. Il y avait effectivement eu une explosion
due au grisou, et toute une galerie s’était effondrée. Il fallait attendre
avant de connaître les dégâts.
Un mouvement se fit, enfin. Un murmure courut :
— En voilà ! En voilà qui arrivent !
Je me dressai sur la pointe des pieds, tendis le cou pour
voir, partagée entre la crainte et l’espoir. Je regardai, regardai encore. Mon
mari et mon fils n’étaient pas parmi eux, Georges et Julien non plus. La
déception me mit les larmes aux yeux. Ma belle-mère, près de moi, dit, d’une
voix éteinte :
— Mon Dieu ! Ils ne sont pas là…
Je secouai la tête, la gorge serrée, incapable de prononcer
un mot.
Autour de nous, maintenant,
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