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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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consoler :
    — Si ce qu’Albert Darent raconte sur toi est faux,
tu n’as rien à te reprocher. Alors que crains-tu ?
    Je ne pouvais pas lui dire la vérité. Comment aurait-elle pu
se douter que ma vie n’était pas aussi simple qu’elle le paraissait ?
    *
    D’autres problèmes, plus généraux, vinrent s’ajouter à nos
ennuis personnels. Nous étions en 1934, et les conditions de travail et de vie
se dégradaient. Les amendes pleuvaient sur les mineurs, pour un rien, et la
paie était réduite. Le charbon ne se vendait plus, le chômage s’installait. Si
un mineur n’était pas content, ce qui arrivait souvent, les amendes étant
abusives, on lui disait : « Si ça ne te va pas, tu peux aller
ailleurs ! » ou encore : « Si tu n’es pas content, tes
quatre feuilles sont prêtes. »
    Les quatre feuilles, c’était l’avis de licenciement, sans
préavis. Aussi, personne n’osait protester trop violemment, mais la révolte
couvait.
    Avec les prix qui augmentaient et les salaires amputés par
les amendes, il devenait de plus en plus difficile de vivre. Mon travail de
couturière ne rapportait plus beaucoup ; les gens avaient trop de difficultés
pour pouvoir commander des vêtements. Ce fut une époque où nous avions juste le
nécessaire pour vivre. Nous ne mangions pas souvent de la viande, en ce
temps-là. En préparant le café le matin, j’en prenais un tout petit peu et je
remplissais la cafetière pour toute la journée.
    Charles me parlait de la tension qui régnait à la mine. Il
me disait qu’ils étaient considérés comme des esclaves ; on les faisait
travailler dur pour un salaire de plus en plus faible, dans un climat de
brimades, de vexations, qui peu à peu devenait intolérable.
    Il y eut des réunions syndicales, des manifestations, des
menaces de grève. Mais, bien souvent, la compagnie envoyait les gardes mobiles
pour dégager les carreaux de fosses. Ces mêmes gardes mobiles relevaient les
noms, lors des réunions.
    — Ça devient intenable, soupirait Charles. Nous n’avons
plus aucune liberté, nous ne voyons aucune issue. Ça va vraiment mal.
    Ce fut pendant cette période d’insécurité et de malaise que
Jean fit ses débuts à la mine. Avec la crise, on embauchait beaucoup moins, mais
il put entrer au triage, en remplacement d’une jeune fille qui avait quitté son
emploi pour se marier.
    Il partit, le premier matin, avec Charles. Mon cœur se serra
en voyant son petit visage pâle et crispé. J’étais aussi contractée que lui. Le
soir, quand je le vis revenir, avec son visage encore enfantin tout noirci de
charbon, j’eus mal. Je ne le reconnaissais pas, il me semblait étranger. Déjà, il
ne m’appartenait plus, la mine me le prenait.
    Au début, pour lui et pour moi, ce fut très dur. Ses mains, encore
tendres, se couvrirent d’ampoules et saignèrent. Comme c’était l’été, il ne
souffrit pas du froid. Mais il eut les yeux rouges, irrités par la poussière de
charbon. Peu à peu, la peau de ses mains durcit, des callosités se formèrent. Avec
le charbon qui s’incrustait sous les ongles, il eut, à son tour, des mains de
mineur.
    Il s’habitua, même si ce fut dur. Si un regret me venait
parfois quand je me disais que j’aurais pu lui éviter cela, il ne durait jamais
bien longtemps. Jean ne se plaignait pas, il acceptait son sort avec fatalisme.
Et, quand je le voyais partir, le matin, au côté de Charles, mêlé aux autres
hommes de la mine, je me disais que tout était bien ainsi.
    *
    Ce fut aussi la période où il y eut le renvoi de nombreux
mineurs polonais, à cause du chômage. Ce fut dramatique. Je ne peux pas l’évoquer
sans un sentiment de malaise et de honte. Furent visés plus particulièrement
ceux qui participaient aux grèves, qui militaient aux syndicats. Stephan, le
père, d’Anna, fut un de ceux-là. Charles rentra un jour du travail, furieux :
    — Stephan vient d’avoir son avis d’expulsion !
Il venait à peine de remonter, il a appris qu’il devait partir, dans les
quarante-huit heures, avec toute sa famille !
    Je courus en face. Martha pleurait. Stephan, assis sur une
chaise, encore en tenue de travail, regardait un papier qu’il tenait dans ses
mains d’un air hébété. Ses deux fils qui travaillaient avec lui à la mine
semblaient atterrés. Les deux plus jeunes pleuraient avec leur mère. C’était un
tableau d’une désolation infinie.
    Stephan leva sur moi un regard égaré :
    — Madeleine !

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