La Poussière Des Corons
était occupé à se laver :
— Si tu savais, maman, comme j’ai eu peur, quand
je suis descendu ! La cage descend à toute vitesse, s’enfonce dans l’obscurité.
Ça fait une impression terrible ! L’estomac m’est remonté dans la gorge, je
me suis accroché à papa, j’avais l’impression d’avoir des jambes en caoutchouc…
Et les autres, autour de moi, discutaient sans paraître remarquer quoi que ce
soit !
— C’est parce qu’ils sont habitués. Toi, c’était
la première fois que tu descendais.
— Demain, j’aurai un peu moins peur. Et puis, un
jour, je n’y ferai même plus attention, comme les autres…
Il se tut un instant, hocha la tête :
— N’empêche que le travail, au fond, est plus dur.
Tu sais, je conduis les berlines pleines de charbon à l’endroit où le cheval
les reprend. Ça n’est pas facile. C’est juste à ma hauteur quand je suis baissé.
Et puis il faut connaître le moindre accident de terrain, pour empêcher la
berline de déraper. Je ne les connais pas encore bien… Sur le côté, les billes
de soutènement en bois sont quelquefois cassées, il y a des esquilles de bois
qui dépassent, qui accrochent au passage. Regarde, j’ai déchiré ma blouse…
— Ce n’est rien, je vais la recoudre.
Je dus plus d’une fois raccommoder ses vêtements de mineur, au
début. Peu à peu, là aussi, il s’habitua. Il finit par devenir habile au
travail. Il en ressentait une fierté qui se lisait dans ses yeux. Charles et
les autres le considéraient comme l’un des leurs ; il avait, comme eux, rejoint
la mine, ils faisaient tous partie de la même grande famille.
Pierre, mon beau-père, prit sa retraite. Il la fêta avec ses
nombreux amis, heureux de pouvoir se reposer un peu et triste de quitter son
travail. C’est une chose que j’ai toujours remarquée, et que je comprends
difficilement. La mine était dure avec eux tous, souvent cruelle, parfois
meurtrière, et pourtant ils l’aimaient. Pierre, lui, avait été bowetteur ;
sa santé, peu à peu, s’était délabrée. Il souffrait de douleurs dans les genoux,
qui l’empêchaient de se déplacer normalement. Résigné, il me disait :
— Tu comprends, d’avoir travaillé au fond, pendant
des années, assis ou couché dans plusieurs centimètres d’eau, ça s’est infiltré
dans mes articulations. Il n’y a plus rien à faire, je suis foutu, maintenant.
Ses poumons étaient malades, aussi. Il toussait de plus en
plus, s’essoufflait très vite. La mine, après l’avoir assujetti pendant
quarante ans de fond, ne le libérait pas encore.
A cause de sa santé, et à cause des conditions de travail de
plus en plus pénibles, il était content d’arrêter. Car le climat était toujours
aussi tendu. En plus des brimades, des amendes, des menaces, il y avait
maintenant le chronométrage. Charles était rentré un soir, furieux :
— Maintenant, la compagnie a trouvé un nouveau
moyen de vexation. Il y a un chronométreur qui, dès son arrivée au travail, repère
un mineur au hasard et chronomètre tout, du début à la fin. Il se place
derrière lui, note le temps qu’il met pour prendre les outils, pour monter le
marteau-piqueur, l’heure à laquelle il commence à travailler, tout, vraiment
tout. À la fin de la journée, il fait son rapport. Et nous devons accepter ça !
C’est soi-disant pour faire une moyenne de rendement !
Quelques jours plus tard, un mineur refusa de se faire
chronométrer. Il fut aussitôt mis à pied. Alors une grève de solidarité fut
déclenchée. Les chronométreurs ne furent pourtant pas supprimés. Ils furent
simplement remplacés par des « surveillants d’organisation » qui s’occupaient
surtout du matériel.
Il y eut beaucoup d’autres grèves qui se généralisèrent
cette année-là, dans tout le bassin minier. Il y eut des manifestations. Je me
souviens que l’une d’elles appela tous les mineurs à Lens où des trains
spéciaux les conduisirent. Jean, Charles et ses frères, avec tous les autres, y
participèrent. Ils revinrent révoltés. Il y avait eu des forces de police
partout, des gardes mobiles à cheval qui avaient chargé, et la manifestation s’était
transformée en émeute. Je secouai la tête, peinée. Des images de bataille
surgissaient du fond de ma mémoire, des images qui dataient de mon enfance. Trente
ans après, rien n’avait donc changé, la violence était toujours présente.
Comme si tout cela ne
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