La Poussière Des Corons
longtemps possible, la
vérité sur Julien. Il se remettait très lentement et le médecin recommandait
beaucoup de calme. Physiquement, sa blessure se cicatrisait bien. Il reprenait
des forces. Mais il était atteint moralement. Ses premières paroles, quand il
fut capable de parler de l’épreuve qu’il avait subie, furent pour me dire :
— C’était horrible, si tu savais… Tout ce temps
dans l’obscurité, sans savoir. Sans savoir si c’était le jour ou la nuit, sans
savoir si nous allions être libérés ou si nous finirions par mourir lentement… J’ai
cru devenir fou. Vers la fin, nous en étions réduits à manger les carottes des
chevaux, et à boire leur urine… Oh, c’était affreux, affreux…
Il sanglotait, et moi j’essayais de le rassurer, avec des
paroles dans lesquelles je mettais toute ma tendresse :
— N’y pense plus, mon chéri, c’est fini
maintenant. Essaie de ne plus y penser, d’oublier. Tu es sauvé, tu es en
sécurité ici, c’est tout, c’est fini…
Mais les mêmes images, toujours, habitaient son regard. Je
me rendais compte qu’il n’arrivait pas à s’en libérer. Je voyais au fond de ses
yeux une terreur qui me faisait mal et contre laquelle je ne pouvais rien. Malgré
mon profond désir de le ramener vers moi, vers nous, vers une vie normale, il
restait prisonnier de son monde de ténèbres et de cauchemar.
Le plus dur, c’était les nuits. Dès qu’il s’endormait, la
même panique le reprenait, qui le transportait de nouveau au fond, où il se
trouvait une fois de plus enfoui. Alors il se réveillait en criant, se
débattait, m’appelant désespérément.
— Maman ! Maman !
Je courais à lui, le caressais avec douceur, lui murmurant
des paroles apaisantes. Peu à peu, il se réveillait complètement, il
reconnaissait l’endroit où il se trouvait. En tremblant, il murmurait :
— Je rêvais que j’étais encore là-bas, et j’étouffais,
je ne voulais pas mourir…
Il frissonnait. Je le prenais dans mes bras, le berçais avec
tendresse, comme s’il était encore mon tout petit bébé. Je l’embrassais et je
sentais ses larmes mouiller mes joues. Je serrais les dents de toutes mes
forces pour ne pas pleurer avec lui, faisant appel à tout mon amour pour
essayer de le consoler. Mais, malgré mes efforts, je n’arrivais pas à vaincre
la panique qui se reflétait dans son regard. Charles, à mes côtés, hochait la
tête, accablé.
Quelques jours après, il put se lever. Il allait mieux, mais
son regard était toujours hanté. Il demanda brusquement :
— Où est Julien ? Tout le monde est venu me
voir, sauf lui. Il est blessé, lui aussi ?
Je lui appris la vérité. Son désespoir me fit peur. Il se
mit à pleurer comme un enfant. Affolée, j’essayais de le calmer, et je n’y
parvenais pas. Entre ses sanglots, il murmurait des paroles entrecoupées, où je
distinguai, pêle-mêle, les mots : mine, impossible, trop dur, cruel… Il se
tourna vers moi, et, dans un cri, me dit :
— Maman, je ne peux plus… je ne veux plus y
retourner ! J’ai peur, j’ai peur !
Je le serrai dans mes bras, les yeux pleins de larmes. Il n’était
qu’un enfant, un adolescent fragile et trop jeune pour une telle épreuve. Moi
aussi, j’appréhendais le moment où il devrait reprendre son travail. Le seul
fait de penser à l’angoisse qui serait la mienne à tout instant de la journée, lorsqu’il
serait au fond, m’était déjà une souffrance. Et puis, je ne supportais plus de
voir la peur dans ses yeux.
Le soir même, j’en parlai à Charles. Il essaya de me
rassurer :
— C’est normal, après ce qu’il a vécu. Mais il
doit réagir. La première fois qu’il redescendra, il aura très peur, c’est
certain. Mais ça se passera après une journée ou deux de travail. À mon avis, pour
lui, le meilleur moyen de vaincre sa peur du fond, c’est d’y retourner.
Je ne répondis pas. Une autre idée m’était venue, que j’avais
repoussée jusque-là. Mais maintenant je comprenais que j’allais l’accepter, car
je ne pouvais plus exposer mon fils à un métier aussi dangereux.
Le lendemain, Juliette vint nous voir, Jean et moi.
— Madeleine, s’écria-t-elle en arrivant, je viens
d’apprendre ce qui s’est passé ! Jean, comment vas-tu ? Mon Dieu, quand
je pense que tu aurais pu y rester !
Elle le serra contre elle, avec une réelle tendresse.
— J’étais partie pour une semaine avec Germain
chez mes
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