La Poussière Des Corons
beaux-parents. Je ne suis rentrée qu’hier, tard dans la soirée. Tu vas
mieux, maintenant, tu vas bien ?
Jean ne répondit pas. À sa place, je dis :
— Son épaule est presque guérie…
Juliette me regarda d’un air significatif, puis parla de
choses et d’autres. Elle essaya de faire sourire Jean en racontant les
dernières espiègleries de son fils. Lorsqu’elle partit, je l’accompagnai jusqu’à
la porte. Sur le seuil, seule avec moi, elle chuchota :
— Tu n’as plus le droit, maintenant, de faire
mener à Jean une vie aussi dangereuse. Tu l’as compris, n’est-ce pas ? Henri
ne vit plus, il a eu si peur, lui aussi ! Il te demande, plus que jamais, d’accepter
son offre. Je pense que tu n’auras plus la folie de refuser ?
— Je vais en parler à Jean. Je te donnerai sa
réponse.
Après son départ, incapable d’attendre, j’appelai Jean, qui
était dans le jardin. S’il fallait, pour lui ramener la paix, faire le
sacrifice de me séparer de lui, j’y étais prête.
En choisissant mes mots, j’expliquai à Jean que Juliette, ne
voulant pas qu’il continuât le dangereux métier de mineur de fond, s’était
offerte, en tant que marraine, à lui permettre de continuer ses études. Tout en
parlant, je voyais le regard de Jean s’éclairer, et une sorte d’émerveillement,
de délivrance, y apparaître. À la fois heureuse et désespérée, je lui demandai :
— Tu es d’accord ?
Il explosa, littéralement, et pour la première fois depuis
la catastrophe meurtrière je vis ses yeux pétiller d’enthousiasme, de vie, de
joie :
— Oh, maman ! C’est formidable ! Je ne
retournerai pas au fond ! Si tu savais comme j’en avais peur ! Et puis,
continuer mes études, ça a toujours été mon rêve. Je m’étais résigné à ne
jamais le réaliser, et maintenant, tu m’apprends que je le pourrai ! C’est
merveilleux !
Avec emportement, il me prit dans ses bras, me fit tournoyer.
Il exultait. Son allégresse balaya mes dernières hésitations. Vaincue, je
décidai d’accepter l’offre d’Henri.
*
Charles n’y mit aucune opposition. Au contraire, il m’approuva.
La joie et l’exubérance de Jean, qui, dès qu’il revint, lui raconta tout, le
firent même sourire. Comme moi, il était content de voir notre fils renaître à
la vie, après l’abattement des jours précédents. Et, comme moi, il acceptait d’en
payer le prix.
Le lendemain matin, Juliette revint. Dès qu’elle parut, Jean
lui sauta au cou, l’embrassa, la fit tournoyer, elle aussi, dans toute la
cuisine.
— Oh, ma marraine Juliette, dit-il, je t’adore !
Comme dans les contes, tu es une marraine fée ! D’un coup de baguette
magique, tu transformes ma vie ! Tu es merveilleuse !
Juliette, essoufflée, riait.
— Laisse-moi, Jean, laisse-moi, voyons ! Tu
es fou !
Après un baiser sonore sur chaque joue, il la lâcha.
Elle me regarda, grave, émue :
— Alors, tu as choisi la bonne solution. Merci
pour lui, Madeleine, et pour Henri.
Elle se tourna vers Jean :
— Henri, c’est mon frère. Je lui ai parlé de toi,
il est prêt à t’aider, lui aussi.
En effet, il s’occupa de tout. Juliette me raconta ce qu’il
fit. Il m’était, me dit-elle, profondément reconnaissant de ma décision, et m’en
remerciait. Il alla voir le directeur du lycée afin de lui faire accepter Jean,
à la rentrée scolaire, à deux mois de là.
— À cause de ton obstination, m’expliqua Juliette, Jean
a perdu une année. Mais, heureusement, il est intelligent, et comblera vite ce
retard.
Henri prit des mesures, aussi, pour que le retrait de Jean
de la mine n’eût pas de conséquences pour Charles, ou pour Georges. Car on
avait déjà vu des cas où, dans de telles circonstances, tous les mineurs de la
famille étaient licenciés. Il aplanit toutes les difficultés et Juliette me
tint fidèlement au courant de tout. Avec discrétion, il n’intervenait pas. Il
me laissait Jean entièrement, jusqu’à la rentrée.
Jean, lui, revivait. Il redevenait l’adolescent gai et
heureux qu’il aurait toujours dû être. Il avait devant lui un avenir qui, dorénavant,
n’était plus sombre. En observant mon fils, je me rendais compte que, même
avant la catastrophe, je ne voyais pas dans ses yeux cette lumière, cet
enthousiasme qui y étaient maintenant. La mine avait terni son regard, et peu à
peu l’avait rendu morose et triste. Même sa façon de se tenir avait changé. Il
ne
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