La Prison d'Édimbourg
question elle s’arrêta, et regardant Jeanie d’un air de soupçon : – Oui-dà ! lui dit-elle. Est-ce là votre projet ? Vous avez envie d’appeler vos talons au secours de votre tête, je crois.
Jeanie, en entendant sa compagne s’exprimer ainsi, hésita un moment sur ce qu’elle devait faire. Elle avait grande envie de prendre la fuite sur-le-champ, mais elle ne savait encore en quelle direction elle devait fuir, ni si elle serait la plus agile à la course, et elle voyait évidemment que, pour la force physique, la folle l’emportait de beaucoup sur elle. Elle résolut donc de prendre patience, dit quelques mots pour calmer les soupçons de sa compagne, et la suivit où elle voulut la conduire.
Les idées de Madge ne pouvaient rester long-temps fixées sur le même objet, elles ne tardèrent pas à prendre un autre cours, et elle se mit à parler avec sa prolixité habituelle : – C’est une chose délicieuse de se promener ainsi dans les bois par une belle matinée comme celle-ci ! on n’entend pas, comme à la ville, une foule d’enfans crier après soi parce qu’on est un peu jolie et un peu mieux mise que les autres. Et cependant, Jeanie, que les beaux habits et la beauté ne vous rendent pas trop fière… Je sais à quoi cela mène.
– Connaissez-vous bien le chemin ? lui demanda Jeanie, qui voyait qu’elle s’enfonçait de plus en plus dans le bois, et qui craignait de s’éloigner encore davantage de la grande route.
– Si je le connais ! n’ai-je donc pas demeuré long-temps ici ? N’est-ce pas ici que… ? Oui, j’aurais pu l’oublier, j’ai oublié bien des choses ; mais il en est qu’on n’oublie jamais.
Elles arrivaient en ce moment dans une clairière. Un beau peuplier s’y élevait solitairement sur un petit tertre couvert de gazon, semblable à un de ceux qu’a décrit le poète de Grasmere dans l’épigraphe de notre chapitre. Dès que Madge l’aperçut, elle joignit les mains, poussa un grand cri, et tomba par terre sans mouvement.
Il eût été bien facile à Jeanie de fuir en ce moment ; mais elle ne put se déterminer à abandonner cette infortunée sans secours dans l’état où elle se trouvait, d’autant mieux qu’au milieu de son délire elle lui témoignait une sorte d’amitié. Elle parvint, non sans peine, à la relever, l’assit au pied du peuplier, chercha à ranimer son courage par quelques paroles de consolation, et vit avec surprise que son teint, ordinairement animé, était pâle et livide, et qu’elle versait des larmes en abondance.
– Laissez-moi, dit la pauvre insensée, laissez-moi ; cela fait tant de bien de pleurer ! Je ne pleure qu’une fois ou deux par an, quand je viens en cet endroit. Ce sont mes larmes qui arrosent ce gazon et qui font verdir ce peuplier.
– Mais qu’avez-vous ? lui demanda Jeanie ; pourquoi pleurez-vous si amèrement ?
– Je n’en ai que trop de sujet, Jeanie ; mais asseyez-vous près de moi, et je vous conterai tout cela, car je vous aime ; tout le monde nous disait du bien de vous quand nous étions vos voisines à Saint-Léonard, et je n’ai pas oublié le verre de lait que vous me donnâtes un matin, après que j’avais passé vingt-quatre heures sur Arthur’s Seat, cherchant des yeux sur la mer un vaisseau sur lequel quelqu’un devait se trouver.
Jeanie se rappela effectivement qu’elle avait rencontré un matin près de la maison de son père une jeune fille qui semblait privée de raison et qui tombait de faiblesse, et qu’elle lui avait donné du pain et du lait qu’elle avait dévorés en affamée. Cet incident, léger en lui-même, devenait d’une grande importance, s’il pouvait avoir fait une impression favorable pour Jeanie dans l’esprit de celle qui avait été l’objet de sa charité.
– Oui, dit Madge, je vous conterai tout. Vous êtes la fille d’un homme respectable, de David Deans, et vous consentirez à me tirer du sentier étroit, car j’ai brûlé des briques en Égypte, et, pendant de longs jours, j’ai erré dans l’affreux désert de Sinaï ; mais quand je pense à mes erreurs, je suis prête à me fermer la bouche de honte.
Ici elle leva les yeux et sourit.
– Voilà une chose étrange, continua-t-elle, je vous ai dit plus de bonnes paroles en dix minutes que je n’en dirais à ma mère en dix années. Ce n’est pas que je n’y pense, et parfois elles sont au bout de ma langue ; mais soudain le diable survient, passe ses
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