La Prison d'Édimbourg
Comme je riais quand je voyais le gentil Geordy le contrefaire ! Je riais peut-être moins qu’à présent ; mais il me semble que c’était de meilleur cœur.
– Et qui était ce gentil Geordy ? lui demanda Jeanie, pour tâcher de la ramener à son histoire.
– Vous ne le connaissez pas ? celui qu’on nomme Robertson à Édimbourg ; et ce n’est pas encore là son vrai nom. Mais pourquoi me demandez-vous son nom ? Cela n’est pas honnête de demander le nom des gens. J’ai vu quelquefois chez ma mère huit ou dix personnes, et jamais elles ne s’appelaient par leur nom ; c’est pour cela que j’ai pris celui de Wildfire. J’ai entendu vingt fois Daddy Raton dire qu’il n’y avait rien de si incivil que de demander le nom de quelqu’un, parce que si les baillis, les prévôts et les juges veulent savoir si vous connaissez un tel ou un tel, ne sachant pas leur nom vous-même, vous ne pouvez le leur dire.
– Avec qui a donc vécu cette pauvre créature, pensa Jeanie, pour qu’on ait pu lui suggérer de pareilles idées ? Reuben et mon père auraient de la peine à me croire, si je leur disais qu’il existe des gens qui prennent de telles précautions par crainte de la justice !
Ses réflexions furent interrompues par un éclat de rire que fit Madge en voyant une pie traverser le sentier qu’elles suivaient.
– Voyez, dit-elle, voilà comme marchait mon vieil amoureux. Pas si légèrement pourtant ; il n’avait pas d’ailes pour suppléer à ses vieilles jambes. Il fallait pourtant que je l’épousasse, Jeanie, ou ma mère m’aurait tuée. Mais alors vint l’histoire de mon pauvre enfant. Ma mère craignit que le vieux ne fût étourdi par ses cris, et elle le cacha sous le gazon, là-bas, près du peuplier, afin qu’il ne criât plus. Je crois qu’elle a enterré mon esprit avec lui ; car depuis ce moment je ne me reconnais plus. Mais voyez un peu, Jeanie, après que ma mère eut pris toute cette peine, le vieux boiteux ne montra plus son nez au logis. Ce n’est pas que je m’en soucie. J’ai mené une vie bien agréable depuis ce temps, courant, dansant, chantant la nuit comme le jour. Je ne rencontre pas un beau monsieur qui ne s’arrête pour me regarder, et il y en a plus d’un qui me donne une pièce de six pence, uniquement pour mes beaux yeux.
Ce récit, tout décousu qu’il était, fit entrevoir à Jeanie l’histoire de la pauvre Madge. Elle jugea qu’elle avait été courtisée par un amant riche dont sa mère avait favorisé les prétentions, malgré sa vieillesse et sa difformité ; qu’elle avait été séduite par un autre ; que sa mère, pour cacher sa honte, et ne pas mettre obstacle au mariage qu’elle avait en vue, avait fait périr le fruit de cette intrigue ; enfin que le dérangement de son esprit en avait été la suite. Telle était en effet, à peu de chose près, l’histoire de Madge Wildfire.
CHAPITRE XXXI.
« Libres de tout danger, libres de toute crainte,
» De lacour avec joie ils traversent l’enceinte. »
CHRISTABELLE.
Madge et Jeanie suivaient toujours le même sentier, et celle-ci ne vit pas sans un vrai contentement, derrière un bouquet d’arbres, un assez grand nombre de maisons qui probablement faisaient partie d’un village. Le chemin sur lequel elles étaient paraissait y conduire. Jeanie résolut donc de ne plus faire de questions à Madge tant qu’elle le suivrait, ayant observé qu’en lui parlant elle courait risque d’irriter son guide, ou de réveiller des soupçons auxquels les personnes dans la situation de Madge sont très disposées.
Madge, n’étant point interrompue, poursuivit le babil sans suite que lui suggérait son imagination vagabonde. C’était dans cette disposition d’esprit qu’elle était plus communicative sur son histoire et celle des autres, que lorsqu’on cherchait à la faire parler par des interrogations directes ou d’adroites insinuations.
– Il est bien singulier, dit-elle, qu’il y ait des momens où je puis parler de mon enfant aussi tranquillement que si c’était celui d’un autre, et qu’il y en ait où mon cœur soit prêt à se fendre, seulement d’y penser. Avez-vous jamais eu un enfant, Jeanie ?
– Non, répondit celle-ci.
– Ah ! mais votre sœur en a eu un du moins, et je sais ce qu’il est devenu.
– Vous le savez ! s’écria Jeanie, oubliant qu’elle avait résolu de ne lui faire aucune question : au nom du ciel, au nom de ce
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