La Prison d'Édimbourg
rendre plus pernicieux. Georges, forcé de se contraindre un peu en présence de son père, s’en dédommageait en se donnant une triple licence quand il était absent. Ce fut ainsi que, dès son enfance, il contracta l’habitude de regarder son père comme un censeur rigide dont il désirait secouer le joug aussitôt qu’il lui serait possible de le faire.
Il n’avait encore que dix ans, et déjà il portait dans son cœur le germe des vices qui s’y développèrent plus tard, lorsqu’il perdit sa mère, et que son père désolé retourna en Angleterre. Pour mettre le comble à son imprudence et à son indulgence inexcusable, mistress Staunton avait laissé une partie considérable de sa fortune à la libre disposition de son fils, et Georges connut bientôt son indépendance et les moyens d’en abuser. Voulant corriger les vices de son éducation, son père l’avait placé dans un pensionnat bien réglé ; mais quoiqu’il montrât quelque facilité à apprendre, sa conduite désordonnée devint bientôt insupportable à ses maîtres. Il trouva le moyen de contracter des dettes (ce qui n’est que trop facile à tout jeune homme qui a des espérances de fortune), et avec l’argent qu’il se procura il fut à même d’anticiper dès son jeune âge sur les folies et les excès d’un âge plus mûr : aussi fut-il rendu à son père, déjà corrompu et capable d’en corrompre cent autres par son exemple.
M. Staunton, à qui la mort de sa femme avait laissé une mélancolie que la conduite de son fils n’était pas de nature à dissiper, était entré dans les ordres ; et son frère sir William Staunton lui fit passer le bénéfice de Willingham, héréditaire dans la famille. Le revenu était un objet important pour lui, car il n’avait que la fortune d’un cadet de famille, et celle de sa femme se réduisait pour lui à bien peu de chose. Il voulut que son fils habitât avec lui dans le rectorat, mais il trouva bientôt que ses désordres étaient intolérables : et comme les jeunes gens du rang de Georges ne purent long-temps souffrir l’insolence du jeune créole, qui était fier d’être plus riche qu’eux, il prit le goût de la mauvaise société, qui est plus funeste – que la mort sous le fouet et la pendaison {105} . Son père lui fit faire un voyage sur le continent ; il en revint pire encore. Ce n’était pas qu’il fût dénué de toutes bonnes qualités. Il avait de l’esprit, un bon cœur, une générosité sans bornes, et des manières qui auraient pu le rendre agréable dans la société, s’il fût resté sous une salutaire tutelle. Mais tout cela ne lui servit à rien. Il était si souvent dans les maisons de jeu, dans les courses de chevaux, dans les amphithéâtres de combats de coqs, et tous les autres rendez-vous plus funestes encore de la folie et du libertinage, que la fortune de sa mère fut épuisée avant sa vingt-unième année : il se trouva bientôt endetté et dans le besoin. L’histoire de sa première jeunesse peut se conclure en empruntant les expressions avec lesquelles notre Juvénal anglais {106} décrit un semblable caractère :
« Obstiné dans la carrière où il s’était jeté, il crut les reproches injustes et la vérité trop sévère. La maladie de son âme était parvenue à sa crise ; il dédaigna d’abord le toit paternel, et puis l’abjura ; et, quand il se fit vagabond, il se fit gloire de sa honte, en disant : Je serai libre. »
– Et cependant c’est bien dommage, dit l’honnête paysan, car M. Georges est généreux comme un prince, sa main est toujours ouverte ; et, tant qu’il a eu quelque chose, il n’a jamais laissé manquer personne.
Cette vertu, si l’on peut donner ce nom à une profusion sans sagesse, est ce qui frappe davantage les yeux du pauvre, et ceux qui en profitent sont assez portés à la regarder comme un manteau qui couvre bien des fautes.
Jeanie fut rendue à Stamford assez à temps pour prendre place dans la diligence qui allait partir, et elle arriva à Londres dans la soirée du second jour après son départ. Grâce à la recommandation de M. Staunton, elle fut parfaitement reçue dans l’auberge où la voiture s’arrêtait, et le correspondant de mistress Bickerton lui apprit la demeure de mistress Glass, sa cousine, qui l’accueillit avec une affectueuse hospitalité.
CHAPITRE XXXV.
« Oui, je m’appelle Argyle, et vous êtes surpris
» De me voir à la cour rester toujours
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