La Prison d'Édimbourg
qu’il ne puisse y avoir de malentendu entre nous.
– Il s’agit, madame, de la vie d’une malheureuse jeune Écossaise, condamnée à mort pour un crime dont tout me porte à croire qu’elle est innocente. Mon humble demande consiste à supplier Votre Majesté d’employer sa puissante intercession auprès du roi pour obtenir son pardon.
Ce fut alors la reine qui rougit à son tour. Son front, ses joues, son cou, son sein, devinrent pourpres. Elle garda le silence un instant, comme si elle se fût méfiée d’un premier mouvement de colère ; prenant enfin un air sévère de dignité : – Milord, lui dit-elle, je ne vous demanderai pas quels sont vos motifs pour m’adresser une requête que les circonstances rendent si extraordinaire. Le chemin du cabinet du roi vous est ouvert ; comme pair du royaume et comme conseiller privé, vous avez le droit de lui demander une audience. Mon intervention n’est aucunement nécessaire ici, je n’ai que trop entendu parler de pardons accordés en Écosse.
Le duc s’attendait à ce premier débordement d’indignation, et il se contenta de garder un silence respectueux. La reine, habituée à se commander à elle-même, reconnut à l’instant qu’en s’abandonnant à la colère elle courait risque de laisser prendre avantage sur elle. Reprenant donc aussitôt le ton d’affabilité qui avait marqué le commencement de son entretien, elle ajouta : – Vous devez me permettre, milord, d’user des priviléges de mon sexe, et vous ne me jugerez pas sans indulgence, quoique vous me voyiez un peu émue au souvenir de l’insulte que l’autorité royale a reçue dans votre ville, à l’époque où ma personne en était momentanément revêtue. Votre Grâce ne peut s’étonner que j’y aie été sensible alors, et que je m’en souvienne encore aujourd’hui.
– Il est très certain que cette faute ne peut s’oublier sur-le-champ : mes pensées à ce sujet ont été les mêmes que celles de Votre Majesté, et je dois m’être bien mal exprimé, si je n’ai pas fait voir toute l’horreur que m’inspirait un meurtre commis avec des circonstances si extraordinaires. J’ai pu être assez malheureux pour différer d’opinion avec les conseillers de Votre Majesté, touchant la question de savoir s’il était juste ou politique de faire partager à l’innocent le châtiment dû au coupable ; mais j’espère que Votre Majesté me permettra de garder le silence sur une discussion dans laquelle je n’ai pas le bonheur d’être du même avis que des hommes sans doute mieux instruits que moi.
– Oui, dit la reine, ne parlons plus d’une question sur laquelle nous ne pouvons être d’accord ; mais un mot à l’oreille. Vous savez que notre bonne lady Suffolk est un peu sourde. Quand le duc d’Argyle sera disposé à renouer ses relations avec son maître et sa maîtresse, il se trouvera peu de sujets sur lesquels nous ne soyons du même avis.
– D’après une assurance si flatteuse, dit le duc en la saluant profondément, permettez-moi d’espérer que celui dont je vous parle ne sera pas un de ceux sur lesquels nous ne puissions être d’accord.
– Avant de vous donner l’absolution, dit la reine en souriant, il faut que j’entende votre confession. Quel intérêt prenez-vous à cette jeune femme ? ajouta-t-elle en toisant Jeanie d’un air de connaisseuse, elle ne me semble pas faite pour exciter la jalousie de mon amie la duchesse.
– J’espère, répliqua le duc en souriant à son tour, que Votre Majesté m’accorde assez de goût pour que je sois à l’abri de tout soupçon à cet égard.
– Alors, quoiqu’elle n’ait pas l’air d’une grande dame, il faut que ce soit quelque cousine au trentième degré dans le terrible chapitre des généalogies écossaises {111} .
– Non madame ; mais je désirerais que tous mes parens eussent son bon cœur, son honnêteté, toutes ses qualités estimables.
– Tout au moins elle s’appelle Campbell ?
– Non, madame, son nom n’est pas tout-à-fait si distingué, s’il m’est permis de parler ainsi.
– Mais elle vient d’Inverrary, ou du comté d’Argyle ?
– Non, madame, elle n’avait de sa vie été plus loin qu’Édimbourg.
– Alors je suis au bout de mes conjectures, milord, et il faut que vous preniez la peine de m’apprendre quelle est l’affaire de votre protégée.
Le duc expliqua alors la reine les dispositions singulières de la loi qui avait
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