La Prison d'Édimbourg
pas une mauvaise pratique : il y a dix ans qu’il m’écrit de lui envoyer une femme, et un mot de moi arrangerait l’affaire. Il n’a guère plus de soixante ans ; il se porte bien, il a une bonne maison. On ne s’inquièterait guère là-bas du malheur d’Effie, outre qu’il ne serait pas bien nécessaire d’en parler.
– Est-ce une jolie fille ? Sa sœur est passable, mais on ne peut la citer comme une beauté.
– Oh ! Effie est beaucoup mieux que Jeanie, dit mistress Glass ; il y a long-temps que je ne l’ai vue, mais je l’ai entendu dire à tous ceux qui la connaissent, car vous savez qu’il ne vient pas un Écossais à Londres que je ne le voie. Nous autres Écossais nous tenons les uns aux autres.
– Et c’est tant mieux pour nous, dit le duc, et tant pis pour ceux qui nous attaquent, comme l’exprime fort bien la devise de votre enseigne. Maintenant, mistress Glass, j’espère que vous approuverez les mesures que j’ai prises pour le retour de votre cousine chez ses parens. – Il les lui détailla, et la maîtresse du Chardon lui exprima sa reconnaissance pour toutes ses bontés.
– Vous lui direz, ajouta-t-il, de ne pas oublier le fromage qu’elle doit m’envoyer. J’ai donné ordre à Archibald de la défrayer de tout sur la route.
– Je demande pardon à Votre Grâce, mais il ne fallait pas vous inquiéter de cela. Les Deans sont à leur aise dans leur état, et Jeanie a la poche suffisamment garnie.
– Cela se peut, mistress Glass, mais vous savez que Mac-Callummore paie tout quand il voyage. C’est notre privilége, à nous autres Highlanders, de prendre ce qui nous manque, et de donner ce qui manque aux autres.
– Oui, dit mistress Glass, mais Votre Grâce aime mieux donner que prendre.
– Pour vous prouver le contraire, je vais remplir ma boîte de votre tabac ? et je ne vous paierai seulement pas un plack.
L’ayant ensuite chargée de ses complimens pour Jeanie, il remonta dans son équipage, laissant mistress Glass la plus fière et la plus heureuse de toutes les marchandes de tabac de l’univers.
La bonne humeur et l’affabilité du duc d’Argyle produisirent aussi un effet favorable pour Jeanie. Quoique mistress Glass l’eût reçue avec politesse et bonté, elle était trop au fait des belles manières pour être fort contente de l’air campagnard et du costume provincial de sa cousine ; et, comme sa parente, elle était un peu mortifiée et scandalisée de la cause de son voyage à Londres. Elle aurait donc fort bien pu avoir moins d’attentions pour Jeanie, sans l’intérêt que semblait prendre à elle le plus noble des nobles écossais, car tel était le rang assigné au duc d’Argyle par l’opinion générale. Mais envisagée comme une jeune fille dont le courage et la vertu avaient reçu l’approbation de la royauté même, Jeanie se présentait à ses yeux sous un jour bien plus favorable, et elle la traitait non seulement avec amitié, mais encore avec une sorte de respect.
Il n’aurait donc tenu qu’à Jeanie d’être présentée à toutes les connaissances de sa cousine, et de voir tout ce que Londres offrait de curieux, mais elle ne s’en souciait point. Elle alla seulement dîner deux fois chez des parens éloignés, et une fois, à l’instante prière de sa cousine, chez mistress Deputy Dabby, épouse du digne sir Deputy Dabby, de Farringdon Without. Mistress Dabby étant, après la reine, la femme du rang le plus élevé qu’elle eût vue à Londres, elle faisait quelquefois une comparaison entre elles, disant que mistress Dabby était deux fois plus grosse, parlait trois fois plus haut et quatre fois davantage que la reine, mais qu’elle n’avait pas ce regard de faucon qui fait baisser les yeux et plier les genoux, et que, quoiqu’elle lui eût fait présent d’un pain de sucre et de deux livres de thé, elle n’avait pas cet air agréable avec lequel la reine lui avait remis le porte-feuille.
Peut-être Jeanie aurait-elle eu plus de curiosité pour voir toutes les beautés de la capitale, si la condition du pardon d’Effie n’avait laissé un fond de chagrin dans son cœur. Elle en fut pourtant soulagée en partie par une lettre qu’elle reçut de son père en réponse à celle qu’elle lui avait écrite. Il lui envoyait sa bénédiction, et lui disait qu’il approuvait complètement la démarche qu’elle avait faite ; selon lui c’était sans doute une inspiration du ciel, qui avait voulu se
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