La Prison d'Édimbourg
une école. J’aimerais pourtant mieux que ce fût une école, parce que, pour une église, il y a la difficulté du serment, qui pourrait contrarier mon père, le brave homme. À moins que ce fût celle de Shreegh-me-Dead, car je lui ai entendu dire qu’on est meilleur presbytérien dans cette paroisse au milieu des bruyères, que dans Canongate d’Édimbourg. – Je voudrais savoir les livres que vous pouvez désirer, M. Butler, car il y a ici des maisons qui en sont pleines. Il y en a tant, qu’on en met jusque dans la rue, et l’on est obligé de faire avancer les toits pour les mettre à l’abri du mauvais temps. À coup sûr, ils doivent être à bon marché. C’est une bien grande ville que Londres, et j’y ai vu tant de choses, que la tête m’en tourne. Vous savez que je n’ai jamais été une femme de plume, et cependant il est près de onze heures du soir. Je reviendrai au pays en bonne compagnie et sans aucun danger. J’en ai couru quelques uns en venant à Londres, comme je vous le conterai ; c’est ce qui fait que je suis plus contente de revenir comme je reviendrai.
» Ma cousine, mistress Glass, a ici une bien belle maison, mais tout y est empoisonné de tabac, et je ne fais qu’éternuer du matin au soir. Mais qu’est-ce que tout cela auprès de la délivrance qu’il a plu à Dieu d’accorder à ma pauvre sœur, ce dont vous vous réjouirez comme notre ancien et sincère ami ? Adieu, mon cher M. Butler, je suis votre dévouée servante, pour les choses de ce monde et celles de l’autre.
» J. D. »
Après ces travaux d’un genre auquel elle n’était guère habituée, Jeanie se mit au lit, mais elle ne put dormir une heure de suite. La joie qu’elle éprouvait d’avoir obtenu la grâce de sa sœur l’éveillait à chaque instant, et chaque fois qu’elle s’éveillait elle rendait de nouvelles actions de grâces à l’être souverain dont elle avait auparavant invoqué la protection et la clémence.
Le lendemain et le jour suivant, mistress Glass ne fit qu’aller et venir dans sa boutique, comme une toupie fouettée par des écoliers, dans l’attente de la visite qu’on lui avait annoncée. Enfin, le troisième jour, un superbe équipage, derrière lequel étaient quatre grands laquais en livrée fond brun à galons d’or, s’arrêta à l’enseigne du Chardon, et le duc d’Argyle lui-même, en habit brodé, portant la jarretière et tous les ordres dont il était décoré, entra dans la boutique.
Il demanda à mistress Glass des nouvelles de sa jeune compatriote. Elle était en ce moment dans sa chambre. La bonne marchande voulait la faire descendre, mais le duc lui dit que cela n’était pas nécessaire, probablement parce qu’il ne voulait pas que sa visite pût donner lieu à des soupçons que la malignité des hommes est toujours trop portée à concevoir. Il dit à mistress Glass que la reine avait pris en considération la situation malheureuse d’Effie Deans ; qu’elle avait été touchée de la démarche courageuse que l’affection de Jeanie l’avait déterminée à risquer ; qu’elle avait eu la bonté d’employer auprès du roi sa puissante intercession, et que sa demande lui avait été accordée : en conséquence, il venait de faire partir pour Édimbourg la grâce d’Effie, à laquelle il n’était attaché d’autre condition que son bannissement d’Écosse pour quatorze ans : l’avocat du roi, ajouta-t-il, avait insisté pour que cette punition lui fût au moins infligée ; attendu que depuis sept ans seulement il y avait eu en Écosse vingt-un exemples d’infanticide.
– Le malheureux ! s’écria mistress Glass, qu’avait-il besoin de parler ainsi de son pays ? et à des Anglais encore ! J’avais toujours cru l’avocat-général un homme prudent et sage, mais je vois que ce n’est qu’un mauvais garnement ; je demande pardon à Votre Grâce de me servir d’une telle expression. Et qu’est-ce qu’il veut que la pauvre fille fasse en pays étranger, loin de ses parens, sans amis, sans bons conseils ? c’est vouloir la mettre dans le cas de recommencer.
– Il ne faut pas prévoir le mal, dit le duc : elle peut venir à Londres ; elle peut passer en Amérique, et trouver à se marier malgré ce qui est arrivé.
– Votre Grâce a raison. Cela est possible, vous me faites songer à mon ancien correspondant en Virginie ; Éphraïm Buckskin, qui depuis quarante ans approvisionne le Chardon, et ce n’est
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