La Prison d'Édimbourg
pour avoir protégé Jeanie contre les dangers qui pouvaient menacer son corps et son âme dans un pays de schismatiques, d’hérétiques et de lions dévorans.
– Et Effie ? répéta une seconde fois sa sœur. Le nom de Butler était sur ses lèvres, mais elle n’osa pas encore le prononcer. Et le laird de Dumbiedikes ? et M. et mistress Saddletree ? et tous nos amis ?
– Dieu soit loué ! tous se portent bien.
– Et…, et M. Butler ? il était malade quand je suis partie.
– Il est guéri, parfaitement guéri.
– Que le ciel soit béni ! Mais, mon cher père, où est Effie ? où est donc ma sœur ?
– Vous ne la verrez plus, mon enfant, lui répondit son père d’un ton solennel. Vous êtes maintenant la seule branche qui reste sur le vieux tronc.
– Elle est morte ! la grâce est venue trop tard ! s’écria Jeanie en levant les mains au ciel.
– Non, Jeanie ; elle vit dans la chair, mais elle est morte à la grâce ; elle est délivrée des liens de la justice, mais elle est toujours dans ceux de Satan.
– Que le ciel nous protège ! s’écria Jeanie ; serait-il possible qu’elle vous eut quitté pour suivre ce misérable ?
– Cela n’est que trop vrai. Elle a abandonné son vieux père qui a prié et pleuré pour elle ; elle a abandonné sa sœur qui a fait pour elle autant qu’une mère ; elle a abandonné les ossemens de sa mère et la terre de son peuple, et elle est partie pendant la nuit avec ce fils de Bélial.
Deans s’arrêta à ces mots, une sensation qui tenait le milieu entre le chagrin et le ressentiment lui coupant la parole.
– Avec cet homme ! s’écria Jeanie, avec cet homme coupable ! Et c’est pour le suivre qu’elle nous a abandonnés ! Ô Effie ! Effie ! qui l’aurait pu croire, après la faveur signalée que le ciel vous avait accordée !
– Elle s’est éloignée de nous, reprit Deans, parce qu’elle n’est pas des nôtres. C’est une branche flétrie qui ne rapportera jamais les fruits de la grâce ; une chèvre d’expiation qui a fui dans le désert, chargée, je l’espère du moins, de tous les péchés de notre petite congrégation. – Qu’elle jouisse de la paix du monde, et puisse-t-elle un jour jouir de celle du ciel ! – Si elle est du nombre des élus, son heure viendra. Je ne la maudirai point. – J’invoquerai pour elle au contraire les bénédictions du ciel. Mais, Jeanie, son nom ne doit plus être prononcé entre nous. Je ne veux plus m’en souvenir que dans mes prières. – Elle a disparu à nos yeux telle que le ruisseau desséché par la chaleur de l’été, comme dit le saint homme Job, et il ne faut plus chercher les traces de son passage.
Un silence mélancolique succéda à ce discours. Jeanie aurait voulu demander à son père plus de détails sur la fuite d’Effie, mais il lui avait défendu d’un ton trop positif de lui parler d’elle davantage pour qu’elle osât lui désobéir. Elle était sur le point de lui parler de la conversation qu’elle avait eue avec Staunton au rectorat de Willingham ; mais elle jugea qu’elle ne ferait qu’augmenter encore ses chagrins, et c’était d’ailleurs ramener indirectement l’entretien sur Effie. Elle espéra qu’elle ne tarderait pas à revoir Butler, et qu’elle apprendrait de lui toutes les circonstances du départ de sa sœur.
Mais quand devait-elle revoir Butler ? C’était une question qu’elle n’osait faire à son père, surtout quand, lui montrant le pays qui les entourait, il lui demanda si ce ne serait pas une demeure agréable. Il lui apprit alors qu’il y avait fixé son domicile, et que le duc d’Argyle lui avait confié la conduite d’une belle ferme, où il devait s’occuper de l’amélioration des terres et des diverses races de bestiaux.
Le cœur de Jeanie se resserra en apprenant cette nouvelle. – Sans doute c’est une belle et bonne terre, dit-elle ; les collines exposées à l’occident sont couvertes d’une belle verdure qui doit faire d’excellens pâturages, car l’herbe paraît encore fraîche en dépit de la sécheresse ; mais il se passera bien du temps avant que je puisse oublier les marguerites et les renoncules jaunes des vertes pelouses de Saint-Léonard Craigs.
– N’en parlez plus, Jeanie, s’écria Deans ; je ne veux plus en entendre parler ; c’est-à-dire quand la vente de la ferme sera faite et tous les billes acquittés. Mais j’ai amené ici toutes les
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