La Prison d'Édimbourg
sûres que celles de M. Butler. Quand elle allait dans le monde, on reconnaissait qu’elle n’avait pas tout-à-fait ce qu’on est convenu d’appeler le bon ton de la société ; mais on trouvait en elle cette politesse réelle que donnent la nature et le bon sens, un désir d’obliger que rien ne pouvait refroidir, une égalité d’humeur imperturbable, et une gaieté douce qui se communiquait à tout ce qui l’entourait : malgré les soins qu’elle donnait à l’intérieur de son ménage, elle était toujours proprement vêtue, et un étranger, arrivant chez elle, l’aurait toujours reconnue pour la maîtresse de la maison. Duncan la complimentait un jour sur cette dernière qualité : – De par tous les diables, lui dit-il, on dirait que vous avez quelque fée qui vous aide. Jamais on ne voit personne nettoyer votre maison, et toujours on la trouve propre !
– On peut faire bien des choses quand on sait prendre son temps, lui répondit-elle.
– Vous devriez bien apprendre ce secret à nos paresseuses de servantes de la Loge. Je ne m’aperçois qu’elles nettoient que lorsque je me heurte les jambes contre un balai qu’elles laissent traîner.
Nous n’avons pas besoin de dire que le fromage de Dunlop promis au duc ne fut pas oublié, et il fut trouvé si bon qu’il devint une sorte de redevance annuelle que la reconnaissance de Jeanie se faisait un plaisir de payer à son bienfaiteur. Elle n’oublia pas non plus les services qu’elle avait reçus de mistress Glass et de mistress Bickerton, et entretint une correspondance amicale avec ces deux excellentes femmes.
Mais ce qu’il est surtout nécessaire d’apprendre à nos lecteurs, c’est que dans le cours de cinq ans mistress Butler donna le jour à trois enfans, d’abord deux garçons nommés David et Reuben, ordre de nomenclature qui donna beaucoup de satisfaction à l’ancien héros du Covenant ; et enfin une fille aux yeux bleus, aux cheveux blonds, qui promettait d’être charmante, et qui, d’après les instantes prières de sa mère, reçut le nom d’Euphémie, quoique un peu contre le gré de Deans et de Butler ; mais ils aimaient tous deux Jeanie trop tendrement, et elle avait eu trop de part au bonheur dont ils jouissaient maintenant, pour lui rien refuser de ce qu’elle pouvait désirer. Cependant, comme la coutume en Écosse est d’adopter une abréviation pour tous les noms de baptême, quoique Effie fût ordinairement substitué à Euphémie, on s’habitua, sans chercher à s’en rendre raison à lui donner le nom de Fémie.
Mistress Butler vivait ainsi dans un état de félicité paisible et sans ostentation, que rien ne paraissait troubler, si ce n’est les petites tracasseries auxquelles la vie la plus tranquille est toujours sujette. Son bonheur n’était pourtant point parfait, il y avait deux choses qui y mettaient obstacle. – Sans cela, disait-elle à la personne de qui nous tenons ces détails, j’aurais été trop heureuse ; et il était peut-être utile que j’eusse quelques croix à porter pendant cette vie, afin de rappeler à mon souvenir celle qui doit lui succéder.
Son premier sujet de chagrin provenait de certaines escarmouches polémiques entre son père et son mari, qu’elle craignait toujours de voir dégénérer en guerre ouverte, malgré l’estime et l’affection qu’ils avaient l’un pour l’autre ; David Deans, comme nos lecteurs le savent, était intraitable en fait d’opinions, et s’étant décidé à devenir un membre de la session ecclésiastique sous l’Église établie, il se sentait doublement obligé de prouver que par là il n’avait compromis en rien ses déclarations, soit par la pratique, soit en principe. Or M. Butler, en rendant justice au motif de la conduite de son beau-père, pensait qu’il était plus sage de garder le silence sur les points minutieux de doctrine, et de tâcher de réunir tous les esprits qui étaient de bonne foi dans leurs religions. D’ailleurs, comme homme et comme lettré, il n’aimait pas les leçons continuelles d’un beau-père d’une instruction bornée ; et comme ministre il ne se souciait pas de vivre sous la férule d’un des Anciens de son presbytère. Une fierté qui prenait sa source dans un principe d’honneur lui faisait même porter quelquefois l’opposition aux idées de son beau-père un peu plus loin qu’il ne l’aurait fait s’il n’eût été animé par ce sentiment. Si je lui cède en toute
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