La Prison d'Édimbourg
que des laïques qui siégeaient dans l’assemblée. Butler y avait fait plusieurs discours remarquables par la clarté, la candeur et l’énergie ; et il était suivi et admiré comme un prédicateur plein d’onction et d’éloquence.
Tout cela était fort satisfaisant pour l’orgueil de sir Georges Staunton, qui se révoltait à l’idée d’avoir une belle-sœur mariée à un homme obscur et inconnu. Il commença alors au contraire à trouver l’alliance si fort au-dessus de son attente, que, s’il devenait nécessaire de l’avouer, dans le cas où il retrouverait son fils, il sentait qu’il n’aurait aucune raison de rougir que lady Staunton eût une sœur qui, par suite des malheurs arrivés dans sa famille, avait épousé un ministre écossais jouissant de la considération de ses compatriotes, et un des chefs de l’Église.
Ce fut dans ces sentimens que, lorsque la compagnie se sépara, sir Georges Staunton, sous prétexte de désirer prolonger la conversation qu’il avait entamée avec Butler sur la constitution de l’Église d’Écosse, pria celui-ci de venir prendre une tasse de café chez lui dans Lawn-Market. Butler y consentit, à condition que sir Georges lui permettrait d’entrer en passant chez une amie dans la maison de laquelle il demeurait, pour lui faire des excuses de ne pas venir prendre le thé avec elle. Ils remontèrent ensemble la grande rue, entrèrent dans le Krames, et passèrent devant le tronc placé pour rappeler aux personnes qui jouissent de la liberté la détresse des pauvres prisonniers. Sir Georges s’arrêta un instant dans cet endroit, et le lendemain on trouva dans le tronc un billet de 20 livres sterling.
Lorsqu’il rejoignit Butler, celui-ci avait les yeux fixés sur l’entrée de la prison, et paraissait plongé dans une profonde rêverie.
– Cette porte paraît très forte, observa sir Georges pour dire quelque chose.
– Elle l’est en effet, monsieur, dit Butler en se retournant et en se remettant à marcher ; mais ce fut mon malheur de la voir un jour beaucoup trop faible.
Dans ce moment, il tourna les yeux sur son compagnon, et voyant sa pâleur, il lui demanda s’il se trouvait indisposé. Sir Georges Staunton convint qu’il avait été assez fou pour manger des glaces, qui presque toujours lui faisaient mal. Avant qu’il pût découvrir où il allait, sir Georges se vit entraîner par Butler, avec une bienveillance irrésistible, dans une maison située près de la prison ; c’était celle de l’ami chez lequel celui-ci demeurait depuis qu’il était à Édimbourg, et qui n’était autre que notre vieille connaissance Bartholin Saddletree, chez lequel lady Staunton avait servi autrefois pendant quelque temps en qualité de fille de boutique. Ce souvenir se présenta aussitôt à l’esprit de son époux, et le sentiment de honte qu’il excita dans son âme en bannit la crainte involontaire que la vue de la prison et la remarque de Butler lui avaient inspirée.
Cependant la bonne mistress Saddletree tournait de tous côtés, et se donnait beaucoup de mouvement pour recevoir le riche baronnet anglais, ami de M. Butler ; elle pria une dame âgée, vêtue en noir, de ne pas se déranger, d’un ton qui semblait exprimer le désir qu’elle cédât la place à ces nouveaux hôtes. En même temps, apprenant ce dont il s’agissait, elle courut chercher des eaux cordiales d’une efficacité reconnue dans tous les cas de faiblesse quelconques. Pendant son absence, la dame en noir se mit en devoir de se retirer, et elle fût sortie sans être aperçue, si son pied n’eût glissé sur le seuil de la porte, si près de sir Georges Staunton, que celui-ci s’avança aussitôt pour la soutenir, et la reconduisit jusqu’au bord de l’escalier.
– Mistress Porteous est bien changée à présent, la pauvre femme, dit mistress Saddletree en revenant avec sa bouteille à la main. Ce n’est pas qu’elle soit très âgée ; oh ! non ; mais elle a éprouvé un grand malheur par le meurtre de son mari… Cette affaire-là vous a causé assez de tracas, M. Butler. Je crois, monsieur, ajouta-t-elle en se tournant vers sir Georges, que vous feriez mieux de boire le verre entier, car à mon avis vous paraissez plus mal que lorsque vous êtes entré.
En effet il était devenu pâle comme un cadavre, en songeant que la personne qu’il venait de soutenir était la veuve d’un homme de la mort duquel il avait été la principale
Weitere Kostenlose Bücher