La Prison d'Édimbourg
menacés d’un orage.
En effet, une atmosphère lourde et pesante, des nuages qui s’amoncelaient à l’occident, et qui, frappés par les rayons du soleil à son déclin, semblaient une fournaise ardente ; ce silence dans lequel la nature semble attendre l’éclat de la foudre, comme le soldat condamné, les yeux couverts du bandeau fatal, attend le feu du peloton chargé de terminer son existence ; tout semblait présager une tempête. De larges gouttes d’eau tombaient de temps en temps, et obligèrent nos voyageurs à mettre leurs redingotes. La pluie cessa, et une chaleur étouffante, peu ordinaire en Écosse à la fin de mai, les obligea à s’en débarrasser.
– Il y a quelque chose de solennel dans le délai qu’éprouve cet orage, dit sir Georges ; on dirait qu’il attend, pour éclater, quelque événement important qui doit se passer dans le monde.
– Hélas ! répondit Butler, que sommes-nous, pour que les lois de la nature soient subordonnées à nos actions et à nos souffrances ? La foudre s’élancera du sein des nuages, quand ils seront surchargés de fluide électrique, soit qu’une chèvre tombe en ce moment du sommet du mont Arran, soit qu’un héros expire sur le champ de bataille après avoir remporté la victoire.
– L’esprit se plaît, dit sir Georges, à regarder le destin de l’humanité comme le premier ressort qui fait mouvoir tout l’univers. Nous n’aimons pas à penser que nous nous confondrons avec les siècles qui nous ont précédés, comme ces gouttes d’eau se mêlent dans le vaste Océan, y formant un cercle à peine visible à l’instant où elles y tombent, et disparaissent alors pour toujours.
– Pour toujours ! s’écria Butler en levant les yeux au ciel ; nous ne disparaissons pas pour toujours. La mort n’est pas une fin pour nous, c’est un changement, c’est le commencement d’une nouvelle existence, dont le sort dépend de ce que nous aurons fait pendant la première.
Tandis qu’ils discutaient ces graves sujets auxquels les avait assez naturellement conduits l’approche d’une tempête qui menaçait d’être violente, des tourbillons de vent impétueux les empêchaient d’avancer dans le bras de mer qui sépare l’île de Roseneath du comté de Dumbarton. Ils n’avaient plus qu’à doubler un petit promontoire pour arriver au lieu ordinaire de débarquement ; mais tous les efforts des rameurs n’en pouvaient venir à bout, et quelques éclairs annonçaient le commencement de l’orage.
– Ne pourrions-nous débarquer de ce côté du promontoire ? demanda sir Georges.
– Je ne connais entre ces rochers, dit Butler, aucun endroit où le débarquement soit possible.
– Réfléchissez-y encore, reprit sir Georges ; nous allons avoir une tempête terrible.
– Il y a bien l’endroit que nous appelons Hord’s-Cove {141} , dit un des mariniers ; mais il y a tant d’écueils aux environs, que je ne sais si je pourrais diriger la chaloupe de manière à les éviter.
– Essayez, dit sir Georges ; il y aura une demi-guinée pour vous.
Le vieux marin s’assit au gouvernail, et leur dit que s’ils pouvaient débarquer dans la petite baie, ils trouveraient un sentier qui les conduirait à la manse en une demi-heure.
– Mais êtes-vous bien sûr de ne pas échouer ? lui demanda Butler.
– Je l’espère, répondit-il ; mais j’en aurais été bien plus sûr il y a quinze ans, quand Dandie Wilson venait si souvent ici avec son lougre de contrebande. Dandie avait alors avec lui un jeune diable d’Anglais, nommé…
– Songez à ce que vous faites, s’écria sir Georges ; si vous bavardez ainsi, vous nous ferez toucher sur l’écueil de Grindstone… Tenez la chaloupe en ligne droite avec ce roc blanc et le rocher de Knocktarlity.
– Par mon Dieu ! s’écria le vieux marinier en regardant sir Georges d’un air d’étonnement, Votre Honneur connaît la baie aussi bien que moi. Ah ! ce n’est pas la première fois que vous passez près du Grindstone !
En parlant ainsi ils approchaient de la petite baie, qui, entourée de rochers, et protégée par une foule d’écueils, les uns à fleur d’eau, les autres cachés sous les ondes, ne pouvait être aperçue et fréquentée que par ceux qui la connaissaient. En y entrant ils virent une petite barque qui y était déjà amarrée, près du rivage, sous de grands arbres où elle semblait avoir été placée pour être mieux cachée.
Butler
Weitere Kostenlose Bücher