La Prison d'Édimbourg
des yeux brillans comme ceux d’un chat sauvage (excepté qu’ils sont plus verts et moins beaux), qui vous regarde jusqu’à vous faire bâiller ?
– Vous savez qu’il vient pour voir notre père, répondit Jeanie à cette remarque impertinente.
– Et Dominie Butler vient-il aussi pour voir notre père, qui aime tant ses mots latins ? dit Effie, charmée de pouvoir repousser l’attaque dirigée contre elle en en faisant une dans le camp de l’ennemi ; et avec la pétulance de son âge elle poursuivit son triomphe sur sa prudente sœur aînée. Elle la regarda d’un air malicieux et même un peu ironique en fredonnant tout bas, mais avec un accent particulier, un refrain de vieille chanson écossaise :
En traversant le cimetière
J ’ ai rencontré le laird ce soir.
Le pauvre corps ne parle guère ;
Mais avant qu’il ait fait bien noir,
J’ai vu venir le clerc lui-même…
………………
Ici la chanteuse s’interrompit en regardant sa sœur, et, voyant briller une larme dans ses yeux, elle lui sauta au cou, l’embrassa tendrement, et lui demanda pardon de l’avoir chagrinée. Jeanie, quoique peu satisfaite, ne put résister aux franches caresses de cet enfant de la nature, dont les bonnes qualités et les défauts semblaient plutôt le résultat de l’instinct que de la réflexion. Cependant, en lui rendant son baiser de sœur, elle ne put s’empêcher de lui adresser ce reproche amical : – Effie, si vous voulez apprendre de folles chansons, vous pourriez au moins en faire un meilleur usage.
– Oh ! oui sans doute, Jeanie, dit Effie en embrassant encore sa sœur, je voudrais bien n’en avoir jamais appris aucune ; – et je voudrais bien que nous ne fussions jamais venus ici, – et plût à Dieu que j’eusse perdu la langue avant de vous avoir offensée !
– N’y pensez plus, Effie, répondit sa bonne sœur, je ne puis être beaucoup offensée de tout ce que vous pouvez me dire ; – mais, je vous en prie, n’offensez pas notre père.
– Non, non, je ne le ferai plus ! s’écria Effie : quand il y aurait sur la prairie autant de danses qu’on voit briller d’étoiles au firmament un jour de gelée, je vous promets que je n’irai plus.
– Des danses ! dit Jeanie de l’air de la plus grande surprise ; ho ! chère Effie, qui a pu vous faire aller à une danse ?
Il est probable que dans ce moment d’épanchement le Lis de Saint-Léonard aurait fait à sa sœur une confidence entière qui nous aurait épargné, à elle bien des chagrins, et à moi la peine de raconter une triste histoire ; mais le mot danse avait frappé l’oreille du vieux David Deans, qui venait de tourner le coin de la maison, et arrivait auprès de ses filles avant qu’elles fussent averties de son approche. Le mot prélat, ou même le mot pape, n’aurait pas produit un effet plus terrible sur l’oreille de Deans ; car, de tous les exercices, la danse était à ses yeux le plus opposé à toute pensée sérieuse ! Il définissait la danse comme un accès volontaire et régulier de folie qui conduisait le plus facilement à toute espèce de désordre ; encourager et même permettre des assemblées ou des réunions parmi les grands ou parmi le peuple pour cet exercice absurde et extravagant ou pour une représentation dramatique, c’était, selon lui, se rendre coupable d’une des plus insignes preuves de défection, c’était une des causes les plus justes de la colère divine. Le seul mot danse, prononcé à sa porte par ses filles, suffit pour lui faire perdre patience. Danse ! s’écria-t-il, femmes pécheresses que vous êtes ! vous osez parler de danse à ma porte ! Savez-vous que c’est en dansant que les Israélites adorèrent le veau d’or à Béthel ? que ce fut après avoir dansé qu’une infâme créature demanda la tête de saint Jean-Baptiste ? Je prendrai ce soir ce chapitre de la Bible pour le texte de votre instruction, puisque je vois que vous en avez besoin. Il aurait mieux valu qu’elle se fût brisé les deux jambes que de les employer à cet exercice profane ; il aurait mieux valu pour elle qu’elle fût née estropiée, et qu’on l’eût portée, demandant l’aumône, de porte en porte, comme la vieille Bessie Bowie, que d’être la fille d’un roi, vivant comme elle a vécu dans les danses et les folies. Je bénis Dieu (avec le digne Pierre Walker, le colporteur de Bristo-Port) d’avoir tellement disposé de mon sort pendant mes
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