La Prison d'Édimbourg
talons ?… Heureusement je sais où les retrouver si j’en ai besoin, c’est toujours cela !
Comme un général battu, ayant rallié ses troupes défaites, il les reconduisit à la capitale, et les congédia pour la nuit.
Le lendemain matin, il fut obligé de faire le rapport de son expédition malencontreuse. Or, celui qui occupait le fauteuil d’office, car les baillis en Écosse (comme les aldermen en Angleterre, exercent à tour de rôle) était le même qui avait interrogé Butler. C’était un homme respectable et respecté. Il avait une tournure d’esprit singulière, n’avait pas reçu une éducation très soignée, était zélé pour la justice, aimait à découvrir un coupable, mais encore plus à découvrir un innocent. Il avait acquis par une industrie honnête une fortune qui le rendait indépendant, et il tenait dans l’opinion publique la première place parmi ses confrères.
M. Middleburgh, après avoir entendu le rapport du procureur fiscal, et s’être occupé de quelques affaires peu importantes, était sur le point de lever la séance, quand on lui apporta une lettre avec cette adresse : Au bailli Middleburgh, pour lui être remise à l’instant. Elle contenait ce qui suit :
« Monsieur,
» Je sais que vous êtes un magistrat sensé et prudent, un homme qui, comme tel, consentiriez à adorer encore Dieu, quand ce serait le diable qui vous dirait de le faire. J’espère donc que, malgré la signature de cette lettre, qui constate la part que j’ai prise à une action qu’en temps et lieu convenables je n’hésiterais pas à avouer, et que je pourrais justifier, vous ne rejetterez pas le témoignage que je vous offre en ce moment. L’ecclésiastique Butler est innocent de ce dont on l’accuse. Il a été forcé d’être présent à un acte de justice qu’il n’avait pas assez d’énergie pour approuver, et dont il a tâché de nous détourner par de belles phrases. Mais ce n’est pas de lui que j’ai principalement à vous parler. Il existe dans votre prison une femme sous le coup d’une loi si cruelle, qu’elle est restée sans effet pendant vingt ans, comme une vieille armure rongée par la rouille, suspendue à une muraille ; et maintenant on aiguise le tranchant de cette arme pour répandre le sang de la plus belle, de la plus innocente créature que les murs d’une prison aient jamais renfermée. Sa sœur connaît son innocence, puisque Effie lui avait confié qu’elle était la victime d’un traître : ô que le ciel ne peut-il
Would put in every honest hand a whip
To scourge me such a villain through the World {68}
D’un fouet vengeur armer tout homme honnête,
Pour châtier un lâche tel que moi !
» J’écris en insensé, – mais cette fille, – cette Jeanie Deans est une puritaine entêtée, superstitieuse et scrupuleuse comme on l’est dans sa secte. Je prie donc Votre Honneur (puisqu’il faut que je le dise) de lui faire bien comprendre que la vie de sa sœur dépend de son témoignage. Mais quand elle garderait le silence, n’allez pas croire qu’Effie soit coupable, ne permettez pas qu’elle soit punie de mort. Songez que celle de Wilson a été vengée, que je suis au désespoir ; qu’il existe encore des gens qui vous feraient boire la lie de votre coupe empoisonnée. – Je ne vous dis plus qu’un mot, souvenez-vous de Porteous, et dites que vous avez reçu un bon avis de
» L’UN DE SES MEURTRIERS. »
Le magistrat lut deux ou trois fois cette lettre extraordinaire. D’abord il fut tenté de la regarder comme l’œuvre d’un insensé ; mais à la seconde lecture, il crut y démêler un air de vérité à travers l’incohérence et les menaces auxquelles la passion avait entraîné celui qui l’avait écrite, surtout à cause des deux vers cités, qu’il appela des lambeaux d’un recueil de comédies.
– C’est une loi véritablement cruelle, dit-il à son clerc, et je voudrais bien qu’on pût mettre en jugement cette pauvre fille sous un autre chef d’accusation. Son enfant peut lui avoir été enlevé pendant ses souffrances, pendant qu’elle était privée de ses sens ; il peut être mort en naissant ; elle peut ignorer qui le lui a ravi, ce qu’il est devenu ; – en un mot, son crime n’est pas prouvé ; et cependant, si elle n’a confié à personne sa situation, il faut qu’elle périsse ! le crime a été trop fréquent ; il faut un exemple.
– Mais si elle en a parlé à sa sœur,
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