La Régente noire
négociation lui faisait penser qu’un accord n’était, en fait, plus impossible.
C’était aussi l’avis de Louise, et c’est pour cela qu’elle avait imaginé ce faux départ un peu théâtral.
— Allons, ma cousine, concéda Madame ; comment vous refuserais-je une ultime conversation ?
Ainsi les deux délégations se retrouvèrent-elles, chez la gouvernante des Pays-Bas, cette fois – les appartements de la régente de France avaient été démeublés – avec un enthousiasme rappelant presque les premiers échanges.
Marguerite d’Autriche paraissait soulagée, presque légère. Elle adressait régulièrement des sourires complices à son homonyme, Marguerite de Navarre qui, de son côté, se répandait en expressions confiantes. Louise de Savoie, pour sa part, feignait de tourner le dos à ses propres conseillers, pour fixer de bonne foi, entre femmes, les bases d’un nouvel accord.
D’entrée de jeu, la tante de l’empereur avait fait un grand pas dans le sens des Françaises.
— Je vais m’engager personnellement, avait-elle déclaré, en faveur d’une libération rapide et certaine des Enfants de France. Il n’est plus possible que ces jeunes princes vivent ainsi, loin des leurs, en état, pour ainsi dire, de prisonniers.
Regardant Louise droit dans les yeux, elle avait alors posé la question fatidique.
— Que seriez-vous prête à réunir comme rançon ?
— Je m’engage à ce qu’elle soit énorme, avança de son côté la régente. Est-ce que le montant de deux millions d’écus d’or vous paraîtrait suffisant ?
On ouvrit de grands yeux autour de la table : c’était une somme faramineuse.
— D’accord, répondit Marguerite ; mais à condition que vous versiez, comptant, un million deux cent mille écus.
— En ce cas, fit observer Louise, il faudrait nous donner un peu de temps pour réunir tout cet or...
— Même beaucoup de temps, se permit Antoine Duprat.
— Un peu de temps ! trancha la mère du roi.
Il fut admis, en outre, que la célèbre relique de la Vraie Croix, nommée Fleur de Lys, gagée par la Couronne d’Espagne auprès de celle d’Angleterre pour la somme de cinquante mille écus, serait rachetée par la France et restituée à l’Empire.
— Et pour les cessions territoriales ?
Marguerite d’Autriche battait le fer encore chaud.
— La souveraineté sur l’Artois et les Flandres, plusieurs places au nord, à définir... Et puis, bien sûr, l’abandon de nos alliances italiennes et le renoncement à ces chimères milanaise et napolitaine !
Ces dernières concessions ne lui avaient guère coûté.
— Alors ne parlons plus d’autres provinces, concéda Mme Marguerite.
Le nom de la Bourgogne n’avait même pas été prononcé.
Il fallut quelques jours encore pour que les diplomates, mettant des mots, des dates et des chiffres sur les propositions des deux dames, en vinssent à rédiger un traité véritable, possible pour les deux parties. Dans cette affaire, ni François I er , ni Charles Quint ne s’étaient donné le ridicule de céder. Tout était passé par ces deux femmes qui, respectivement, les avaient toujours soutenus et conseillés.
Le 8 août 1529 fut ainsi établi le traité de Cambrai, que les deux souverains s’empresseraient de ratifier. Un traité qui, dans l’Histoire, prendrait le joli nom de « paix des dames ».
La seule grâce que Louise, profitant de l’euphorie, se permit de requérir, fut l’envoi immédiat en Espagne, auprès de ses petits-enfants, d’un homme de confiance chargé de l’informer en détail des conditions de leur captivité. Elle le choisit solide, droit, honnête et dépourvu de toute afféterie. Il se nommait Jean Bordin, et se trouvait être huissier de sa chambre.
Le soir même, lors de la célébration des vêpres en l’abbatiale Saint-Aubert, on vit Louise et les deux Marguerite se tenir par les mains. Serrées, graves, unies de bonne foi. Par elles, la paix allait revenir en Europe. Les dames avaient réussi là où tant d’hommes avaient échoué.
Tandis que les prières des fidèles, en même temps que les volutes d’encens, s’élevaient jusqu’aux voûtes de l’église, Louise se laissa bercer par une douce idée : dès que les Français auraient constitué la rançon promise, ses petits-enfants allaient rentrer chez eux. Enfin, le dauphin François, le prince Henri, duc d’Orléans, allaient retrouver leur vieux royaume de France et leur bon
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