La Régente noire
exactitude, par ce qu’elle trahissait d’amour, emplit Gautier de confiance.
— Françoise, osa-t-il, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, ce maudit soir, à Rouen, j’ai pu croire si facilement que vous ne m’aimiez plus ?
Elle ne répondit pas. Préoccupée seulement d’atteindre le bas de l’escalier, elle se donnait contenance en ajustant sur ses épaules une étole de civette. Il insista.
— Pourquoi je n’ai même pas cité vos lettres d’amour !
Elle soupira. La conversation prenait un tour pesant.
— Gautier, reprit-elle, je regrette affreusement, croyez-le, tout ce qui s’est passé. Cependant...
— Je dois vous révéler une chose importante.
L’amirale haussa les épaules. La nuit tombait ; en l’absence de torche ou de bougie, l’obscurité avait pris possession de l’escalier. L’écuyer se lança.
— C’est à propos de ces lettres que vous aviez confiées à Simon. Je dois vous prévenir qu’à l’époque, il ne me les a pas transmises.
Françoise accusa le choc. La pénombre dissimulait mal son émotion.
— Et pourquoi cela ?
— Mon frère était un peu jaloux, je crois, de votre ascendant sur moi. Et puis...
— Et puis ?
— Mme de Brézé lui avait promis son aide, en échange de sa discrétion.
— De sa discrétion ? Parlez de trahison !
— Si vous voulez. Le fait est que je n’ai découvert vos lettres que plus tard.
Gautier se tut.
— Elles m’ont fait bien mal, conclut-il d’une voix sans timbre.
L’ombre de Françoise, dans le noir, s’approcha de l’ombre de Gautier pour enfin fusionner avec elle. Dans le noir, leurs deux corps se cherchèrent, leurs deux esprits se trouvèrent – leurs deux âmes ne firent de nouveau qu’une.
— C’est la dernière fois que je te réponds, promit l’épouse de l’amiral.
— C’est la dernière fois que je te parle, jura le messager du grand maître.
Ce soir-là, dans la cage obscure, les amoureux se donnèrent entièrement l’un à l’autre, comme ils ne l’avaient jamais fait et comme jamais plus ils ne pourraient sans doute le faire. Le plaisir, la douleur, le manque et la plénitude s’étaient conjugués pour entraîner ces deux êtres au bord extrême d’un précipice où l’un et l’autre auraient volontiers sombré.
Dans le noir.
Cambrai, hôtel Saint-Pol.
A près six semaines d’incessantes palabres, Madame considéra qu’il était temps de donner une chance décisive aux négociations. Après une discussion plus âpre que les autres au sujet de la rançon des princes, elle donna donc l’ordre à ses gens de préparer ses bagages et de constituer un convoi prêt à partir le lendemain. Aussitôt, les Cambraisiens, curieux et inquiets, s’assemblèrent devant l’hôtel Saint-Pol.
Le convoi fut disposé de manière que Marguerite d’Autriche pût le voir depuis ses fenêtres, et mesurer ainsi la détermination de son adversaire et néanmoins parente. Vers dix heures, alors que la chaleur commençait à s’installer dans les rues, l’on vit quelques dames de la régente s’installer, qui dans sa litière, qui sur sa haquenée. Les hommes d’armes prenaient aussi leur poste, tandis que les valets et autres gens de charge, suant sous un soleil déjà dru, achevaient de charger les derniers ballots.
Enfin Madame parut, entourée de sa fille et de Mme de Brion. Plus faible, plus courbée que jamais, elle prit le temps de saluer douloureusement la foule assemblée qui, déjà, pleurait sur l’échec de la négociation de paix. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de s’installer dans sa litière, Madame fut arrêtée dans son élan par un huissier de Mme Marguerite qui, pour éviter l’irréversible, proposait une dernière discussion.
— À quoi bon ? rétorqua Louise. Nous discutons depuis des semaines ! Si la paix avait dû se faire, elle serait depuis longtemps signée...
Un murmure alarmé parcourut la foule.
— Madame la gouvernante vous demande cela comme une grâce.
— Comme une grâce ? Dites à votre maîtresse que je lui fais mille grâces, mais que, pour celle-là, elle me paraît impossible.
— Rien n’est impossible à des femmes comme nous ! lança soudain Marguerite d’Autriche en personne.
Elle avait pris la peine de quitter son couvent et de descendre dans la rue, officiellement pour saluer la régente avant son départ. En vérité, elle tenait beaucoup à cet échange de la dernière chance. L’expérience de la
Weitere Kostenlose Bücher