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La Régente noire

Titel: La Régente noire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franck Ferrand
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les mots de sa maîtresse, tout cela suscitait en elle une gêne poisseuse. Elle tenta de concentrer ses pensées sur la grande nouvelle de la journée ; la perspective de revoir son bel écuyer dissipa quelque peu ses sombres pensées.
    Forteresse de Chantelle.
    — J e n’ai jamais aimé le printemps, dit le connétable de Bourbon. Mais depuis l’an dernier, c’est une saison maudite pour moi : elle a emporté Suzanne et ravi ma joie de vivre.
    — Allons, monseigneur, considérez la douceur de l’air ! Voyez comme Chantelle brille au soleil... Est-il rien d’aimable comme cela ?
    — L’ami, je n’ai que faire de ton avis.
    Le barbier se voûta, tel un gros mâtin rabroué. Il baissa les yeux et se concentra sur son rasoir à manche d’or. Car le précieux métal environnait le duc Charles jusque dans ses déplacements – fondu, tissé, tiré, brodé... Le prince, même lorsqu’il résidait chez Anne de Beaujeu, sa marraine et belle-mère, faisait suivre par chariots entiers bassins de vermeil et aiguières d’or repoussé.
    Le gros homme tamponna les joues de son maître avec une serviette tiède ; une senteur de rose envahit la pièce.
    — Apporte-moi donc un miroir, ordonna le duc.
    Un page en livrée jaune paille devança le barbier, pour tendre à bout de bras un grand plat d’or poli. Ce qu’y distingua Charles de Bourbon n’avait rien de réconfortant : lui, dont les poètes s’étaient évertués à vanter le fin visage et les traits délicats n’offrait plus, sous ses cheveux mi-longs, qu’une face amaigrie, passablement marquée par la fatigue et les soucis. Seuls les yeux noirs, mélancoliques à souhait, demeuraient intacts ; ils lui donnaient le plus troublant des regards.
    Au fond du miroir, le duc entrevit le déplacement d’une portière, et l’irruption d’un reflet bleu dans son dos.
    — Pompérant ! lança-t-il aussitôt. Apportez-vous quelque nouvelle ?
    L’homme s’avança, s’inclina, tendit la main ; Charles interrompit son élan.
    — Pas ici. Je vais vous voir en particulier.
    Le connétable s’étira comme un chat, jeta au sol la grande serviette qui lui enserrait le cou ; puis il entraîna l’homme en bleu vers un dégagement tout proche.
    — Vous venez de Moulins, devina-t-il.
    Il se saisit du petit rouleau de cuir, l’ouvrit, décacheta le pli et se plongea dans sa lecture avec l’avidité de ceux qui attendent depuis longtemps un courrier d’importance. Il fut bientôt pris de sueurs froides et, d’un geste machinal, glissa directement le rouleau de papier dans sa manche de satin noir, pourfilée d’or.
    — Vous retournerez chez M. de La Vauguyon, ordonna-t-il au messager. Ma réponse sera prête à deux heures de relevée 1 .
    L’homme s’inclina, rangea sous sa chamarre le tube de cuir vide, et quitta la pièce sans broncher. Le connétable demeura un moment le regard vide, à se mordre les lèvres. Puis il gagna l’escalier menant tout droit chez sa marraine.

    Depuis la mort de sa fille, l’illustre Anne de Beaujeu ne quittait plus la chambre, et guère le lit. Avant de se présenter, le filleul prit la peine de contrôler son aspect : après tant d’années, la fille de Louis XI continuait de lui faire impression comme personne. Elle l’entendit entrer.
    — Approchez, Charles, approchez, mon enfant.
    Anne de Beaujeu n’avait guère plus de soixante ans, mais elle en paraissait vingt de plus, tant les épreuves ultimes l’avaient flétrie. Vêtue de linon blanc sur le lin blanc de sa parure de lit, ses cheveux, tout blancs aussi, épandus sur l’oreiller autour de son visage, elle paraissait ne plus tenir à la vie que par le fil de ses devoirs ultimes en ce monde : mettre ses affaires en ordre, bénir les siens, prier Dieu...
    — N’est-ce pas qu’il est beau ? dit-elle en désignant le duc au médecin Jean de l’Hospital, penché à son chevet. Beau mais triste...
    Le connétable salua le maître en silence, et prit avec respect la main déjà froide de l’ancienne régente.
    — Comment se porte aujourd’hui ma bonne-mère ?
    — Comme au bord de la tombe : sereine et lasse.
    — Vous ne devriez...
    — Charles ! J’ai passé le temps des coquetteries. Vous êtes un gentil gendre, je le dirai jusqu’à la fin ; mais je connais mon état. Du reste, je connais aussi le vôtre, et devine aisément que, vous aussi, souffrez de son absence.
    — C’est vrai.
    — Ma fille n’était pourtant pas un être

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