La Régente noire
chérir de la très jeune femme qu’Anne de Beaujeu lui avait procurée en secondes noces. Il était âgé, déjà, quand Diane lui avait donné son premier enfant ; et l’amour qu’il vouait maintenant à leurs deux filles n’en était que plus entier.
Les petites le sentaient. Françoise et Louise vivaient comme une fête chaque retour de leurs parents au vieux castel ; l’aînée surtout, du haut de ses quatre ans, savait mettre à profit la licence qui, fatalement, s’attachait à ces moments passés en famille. Couvant sa petite sœur, mais ne manquant aucune occasion de chahuter les servantes, elle s’était du reste trouvé un souffre-douleur dans la demoiselle de compagnie de sa mère. La complaisante Françoise de Longwy, si blonde et si bouclée, tellement pimpante dans ses robes ouvrant sur des cottes de taffetas, paraissait incapable de lui résister. En vérité, elle ne se pliait aux désirs de la petite diablesse que par souci de tromper son ennui, ou nostalgie de sa propre enfance...
Un matin qu’elle participait ainsi à une folle partie de cache-cache, Françoise en vint à se faufiler sous l’épaisse courtine d’un lit que personne n’occupait jamais. Elle s’y tenait immobile, jubilant à l’avance de la belle frayeur qu’elle allait procurer à la petite fille, quand elle entendit le sénéchal et sa femme entrer dans la pièce.
Ils évoquaient la visite prochaine du beau-frère du roi, le duc d’Alençon, gouverneur en titre de la Province. Cet échange, qui en d’autres temps l’aurait laissée insensible, captiva Françoise. Car dans la suite du duc d’Alençon figurait ce bel écuyer qu’elle avait rencontré le soir de la naissance du prince Charles, et aperçu de temps à autre par la suite, au gré des mouvements de la Cour. À chaque fois, elle l’avait trouvé plus à son goût ; et ce qu’elle avait pu apprendre sur lui l’avait confortée dans cette idée très personnelle : Gautier de Coisay n’était venu au monde que pour croiser son destin et vivre à ses côtés le restant de ses jours.
— Pourquoi s’embarrasser de toute la suite ? demandait Louis de Brézé à sa femme. Nous n’avons qu’à recevoir le prince à Nogent-le-Roi, en compagnie restreinte ! Le reste de l’escorte passera son chemin...
— C’est ici que nous devons l’honorer, insista Diane. Flattons-le, traitons-le en intime ! Il est le gouverneur de la province ; il est le beau-frère du roi ! Sa visite peut nous rapporter beaucoup... Alors, s’il faut, pour loger tout le monde, avoir recours aux fermes et aux granges des environs, eh bien nous devons y passer.
— Y passer, dites-vous ? Mais il me semble que vous savez ce que cela veut dire...
Le sénéchal, en prononçant ces mots égrillards, s’était avancé vers sa jeune épouse et, dans un mouvement qui devait leur être habituel, la basculait déjà sur le lit. Françoise ferma les yeux ; elle fut soudain au supplice. Mais puisqu’une indiscrète curiosité l’avait poussée à demeurer cachée, elle ne pouvait plus se trahir.
Quand Louis de Brézé se vautra sur sa pauvre femme, la demoiselle réprima un haut-le-cœur. Elle qui rêvait d’étreintes juvéniles ne pouvait que plaindre sa maîtresse d’avoir à satisfaire ce vieux mari passablement brutal. Françoise, pétrifiée, serrant les poings, retint son souffle pour assister, interdite, à un viol transmué en devoir conjugal par les sacrements du mariage... Heureusement, l’assaut du grand sénéchal, pour hardi qu’il fût, se révéla plutôt bref ; la place s’était rendue sans résistance ; le soldat put donc se rajuster sans tarder et, non sans gratifier sa belle d’un baiser, quitta la chambre en sifflotant pour cacher son essoufflement.
— Que faites-vous ici, Françoise ? demanda calmement la grande sénéchale, quand le pas de son époux se fut éloigné.
L’archange ne répondit pas. Diane insista.
— Je vous ai vue, vous savez... Du moins je vois un pan de votre robe. Vous jouiez à cache-cache avec ma fille, et vous n’avez pas osé vous manifester...
Françoise demeurait coite, immobile sous sa courtine. Diane de Brézé se releva et, rajustant ses effets, se dirigea vers la porte à son tour.
— Au moins, si cela peut vous dissuader de courir au mariage...
Restée seule, la jeune fille fondit en larmes. Elle mit un moment à reprendre ses esprits : la scène qu’elle avait surprise, la bestialité du rapport,
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