La Régente noire
quelle peur s’emparait d’elle à la vue de ce qui, de près ou de loin, lui évoquait la mort – ne serait-ce que son lit... Aussi retardait-elle chaque soir l’échéance du coucher, au point parfois de ne s’assoupir, tout habillée, qu’aux premières lueurs de l’aube.
Du reste, à Saint-Germain, la chambre de Madame était, au beau milieu de la nuit, illuminée de cire ardente ; torchères et girandoles y supportaient une bonne centaine de bougies, dont le halo dansant faisait chatoyer le velours cerise des tentures et leurs galons d’argent.
— Avez-vous noté la nouvelle coiffure de la Châteaubriant ? Voilà qui est seyant !
— J’ai surtout noté sa mauvaise mine et son teint défait, laissa tomber, perfide, sa confidente.
Les nuits où, parmi les dames et demoiselles d’honneur, la petite Anne d’Heilly était de service, la mère du roi se sentait plus libre de prolonger ses veilles. Elle savait en effet la jeune fille avide de confidences et de papotages.
— Il ne manquerait plus qu’elle fasse beau visage ! Sa famille a conduit nos armées au bord du gouffre, et tous ceux qu’elle a fait nommer se sont effondrés comme des fromages ! Cette catin-là nous mènera aux pires désastres si mon fils ne se résout très vite à la chasser, et toute sa coterie avec elle !
Anne gloussait d’aise. À quinze ans à peine, elle était belle comme le jour, fraîche comme la rosée, menue comme l’oiseau du matin. Vive, rieuse, piquante, elle savait déjà, comme une femme faite, mettre en avant ses cheveux dorés relevés sur la nuque, sa gorge naissante, sa taille parfaitement souple. Elle avait commandé la traditionnelle décoction de marjolaine, plante réputée souveraine contre les insomnies. Mais pour l’heure, sa maîtresse paraissait plus en train que jamais – peut-être davantage qu’en plein jour lorsque, les yeux mi-clos, elle feignait la somnolence pour éprouver les nerfs de ses visiteurs. Madame s’acharnait à creuser le même sillon.
— Son frère, le maréchal de Lautrec, paraît bien embourbé dans son Milanais. Eh bien, qu’il y reste ! Tenez, je voudrais voir comment il s’y prend, en ce moment même, pour nourrir toutes ses troupes.
— Les moyens lui feraient-ils défaut ?
Louise posa sur la petite d’Heilly un regard ambigu.
— Ils pourraient venir à manquer, répondit-elle avec un dangereux sourire.
Un silence se fit, un rien pesant, durant lequel Anne d’Heilly servit elle-même les infusions dans de fines timbales de vermeil. Elle n’était pas dame à se montrer indiscrète, mais le ton d’énigme adopté par la mère du roi l’autorisait à insister – l’y invitait même.
— Pensez-vous, madame, que nous pourrions aller jusqu’à perdre le Milanais ?
— Et quand bien même ? rétorqua Louise. Ne sentez-vous pas, au fond, que ce rêve italien n’est qu’une chimère ? Et la plus sotte, et la plus coûteuse de toutes les chimères ?
En fait de tisane, Anne buvait du nectar : conférer de haute politique avec la mère du roi de France lui donnait un sentiment d’importance dont elle goûtait avec délice la moindre gorgée. Or Louise, cette nuit-là, était en verve.
— Depuis sept ans, ma petite, j’œuvre sans relâche pour que le règne de mon fils s’appuie sur un État solide, et qu’un jour, François puisse transmettre au dauphin le plus prospère des royaumes d’Occident. Croyez-vous, dès lors, que cela m’enchante de nous voir épuiser nos forces dans une guerre étrangère, motivée seulement par des questions d’orgueil ? Et que m’importe-t-il, à moi, que Charles de Habsbourg se soit fait élire empereur à Vienne ! À quoi rime cette course aux contrées lointaines ?
Sur un signe discret de la demoiselle d’honneur, des femmes de service étaient entrées pour encenser la pièce, bassiner le lit et préparer Madame à ce qui lui restait de nuit. La conversation n’en fut pas affectée.
— Le roi vous doit beaucoup, dit la jeune fille.
— C’est moi qui l’ai fait, ma petite. Fait de pied en cap ; de corps et d’esprit. Je l’ai enveloppé au berceau de l’idée qu’un jour, il régnerait ! J’ai forgé pour lui un sceptre, noué son alliance avec la fille du feu roi, attendu dans les affres le trépas de ce dernier... J’ai protégé le trône, assumé la régence il y a sept ans, et surtout fondé les bases de ce règne ! Aussi bien, j’exècre et abomine ceux qui,
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