La Régente noire
comme les autres...
— J’avais l’intention d’accepter.
— Non, Charles ! N’en faites rien. Vous avez mieux à espérer.
Sur quoi elle ferma les yeux, finit par s’assoupir. Le duc de Bourbon en profita pour se retirer, sur la pointe des pieds.
La lettre de Madrid n’avait pas quitté sa manche.
Manoir d’Anet.
L e festin en l’honneur du duc d’Alençon et de sa suite parut en tous points somptueux. De grandes tables avaient été dressées, couvertes de nappes brodées, amidonnées. Devant le duc et le sénéchal, un formidable surtout d’argent représentait tout un combat naval. On passa, du reste, le plus clair du repas à deviser sur la guerre en cours. Les confidences du prince étaient protégées par le bruit des autres causeries, mais aussi par la musique d’une bande assez fournie de joueurs de hautbois, luths, flûtes et cornets.
La récente campagne italienne venait, pour la France, de se solder par un nouveau désastre. Tout avait pourtant commencé dans la confiance... François I er , bien décidé à reprendre Milan perdue la saison précédente, avait fait lever dans ce but plus de seize mille mercenaires au sein des cantons helvétiques. Il plaça cette armée sous les ordres du maréchal de Lautrec – un frère de Mme de Châteaubriant, sa favorite. Le jeune capitaine chargé du recrutement en Suisse, Anne de Montmorency 2 , était un protégé de Brézé ; du reste, c’est par lui que le grand sénéchal avait pu suivre les opérations, et deviner l’incurie du commandement.
— M. de Lautrec, dit-il au duc d’Alençon, avait pour lui une armée puissante. Le malheur, monseigneur, est qu’il n’ait su qu’en faire !
— Lautrec se voyait déjà dans Milan... Je crois qu’il a failli réussir. Après tout, Novare a été prise, et bien prise...
— C’est le jeune Montmorency qui a repris Novare. Et dans des conditions héroïques, encore !
Le prince estimait la bravoure ; mais il était d’abord soucieux de trouver des excuses au clan Châteaubriant.
— Après une telle mise en jambe, on comprend que le maréchal ait eu envie d’aller prendre Pavie.
— Si ce n’est qu’il y a loin, parfois, de l’envie à l’effet...
— Que voulez-vous, cher sénéchal ? On ne peut triompher à chaque fois !
— Il se trouve, monseigneur, qu’ayant échoué à Pavie, Lautrec a reflué vers Milan, puis est revenu jusqu’à Pavie ! Cet homme-là, semble-t-il, ne savait guère ce qu’il voulait...
— Ce que voulait Lautrec ? Mais pardi : rependre le Milanais !
— Seulement il nous l’a fait perdre, trancha Brézé dans un accès de soudaine sévérité. Les Impériaux ont profité de notre indécision. Ils ont fait leur jonction et se sont retranchés dans cette maudite Bicoque 14 – ce qu’ils avaient de mieux à faire, du reste, en attendant le printemps...
Mais le duc d’Alençon s’ingéniait à nier l’évidence.
— Jamais, de lui-même, M. de Lautrec ne se serait attaqué à La Bicoque...
— Néanmoins il l’a fait. Pour notre malheur.
Louis jeta un regard furtif en direction de son épouse qui, tout en feignant l’indifférence, ne perdait pas une miette de leur échange. Il concevait un secret amusement de l’étrange passion de Diane pour la politique et les grandes affaires. Le prince reprit.
— À ce qu’on dit, ce sont les Suisses qui auraient contraint Lautrec à attaquer !
— Monseigneur, vous savez mieux que moi qu’un bon général doit maîtriser ses troupes.
— Bien sûr, bien sûr... Mais savez-vous pourquoi, aussi, les piqueurs d’Helvétie ne tenaient plus en place ? Parce qu’ils n’étaient pas payés !
— C’est ce que l’on murmure, concéda Louis de Brézé.
— Des soldats sans solde ne pensent plus qu’au butin !
— Admettons, je vous l’accorde.
Le sénéchal songea que, pour une fois, le prince approchait peut-être d’une vérité... Or celui-ci n’était plus très loin de livrer le fond de sa pensée.
— Il se dit même que la Cour n’aurait pas facilité l’acheminement des fonds dont M. de Lautrec avait un besoin vital. Quand je dis « la Cour », je sous-entends « Madame »...
Le sénéchal ne le suivit nullement sur ce terrain glissant.
— Quelle que soit l’excuse, conclut-il, nous venons de connaître une déroute. Nous avions perdu Milan, nous sommes maintenant exclus du Milanais tout entier. Je crois que La Bicoque vient de sonner le glas de nos
Weitere Kostenlose Bücher