La Régente noire
entrée !
— Madame, je venais présenter mes devoirs à Vos Majestés. Mais on me dit que le roi est parti pour la chasse...
— En effet. Depuis son retour de Lyon, mon mari ne tient pas en place. Il courre le cerf tous les jours et parfois davantage. Il aura choisi, probablement, de dîner avec les veneurs...
— Votre table, madame, me paraît admirable.
— Mais, mon cousin, qu’à cela ne tienne ! Pourquoi ne partageriez-vous pas mon ordinaire ?
On installa très vite, et comme par magie, un couvert pour le connétable, et Charles, non sans se faire un peu prier, finit par s’asseoir à droite de la souveraine. Il appréciait beaucoup la gentillesse et la noblesse d’âme de Claude ; elle, de son côté, n’avait jamais caché un vrai penchant pour ce beau seigneur, brillant chef d’armée. Certains courtisans auraient pu prétendre qu’en distinguant ainsi l’ennemi attitré de Madame, la reine s’offrait la satisfaction de défier une belle-mère bien rude avec elle...
— Vous vous faites rare, mon cousin. Et je n’avais pas eu, encore, l’occasion de vous dire combien m’a peinée la disparition de la régente Anne. C’était une dame de valeur, et qui eût mérité, bien plus que moi-même, d’être reine.
— Vous faites, madame, une reine idéale. Mais pour ce qui est de ma marraine, je vous accorde qu’elle était d’une nature si haute qu’on en rencontre peu comme elle.
— Sa disparition vous laisse orphelin pour la seconde fois ; et je me dis que ces temps-ci, les conseils d’un tel esprit doivent cruellement vous manquer.
— En vérité, je m’efforce de les deviner ; et très souvent il m’arrive de demander conseil à Mme de Beaujeu par-delà la mort...
— Comme je vous comprends ! C’est ce que je fais toujours avec le feu roi mon père.
En vérité, la mort d’Anne de Beaujeu, dans son manoir fortifié de Chantelle, avait sonné, pour Charles de Bourbon, l’heure de l’incertitude et de la confusion. Car s’il interrogeait en effet bien souvent le fantôme de sa marraine, il n’en obtenait jamais que des avis fantomatiques...
La conversation aurait pu prendre le tour d’amicales confidences – n’était le public qui en épiait le moindre mot. Le connétable s’enquit de la santé de la reine, de ses dernières couches, de ses prochains déplacements...
À sa surprise, Claude ne se cantonna pas à des sujets si anodins. Soit bravade, soit volonté d’en apprendre davantage, elle évoqua de front la question du procès, des confiscations et du double héritage de la duchesse Suzanne et de sa mère. Le duc de Bourbon s’efforça de rester évasif ; il sembla même un instant faire mine de pouvoir comprendre le roi, de vouloir pardonner à Madame. Puis, quand il sentit que l’attention des courtisans faiblissait, et qu’un léger murmure reprenait son cours habituel, il en vint au sujet qui avait motivé sa visite.
— Je ne sais, dit-il, si vous avez arrêté déjà quelque parti pour votre jeune sœur, la princesse Renée. Mais dans le cas providentiel où rien de solide n’aurait été envisagé, j’aimerais fort solliciter sa main auprès du roi et de vous-même... Il me semble que ce serait le moyen le plus agréable d’éteindre une querelle dont je vous avoue qu’elle me met au supplice, et finit par gâcher tous mes plaisirs.
La reine ne répondit rien, mais sous le sourire parfait, presque complice, qu’elle adopta sur-le-champ, le connétable ne put s’empêcher de remarquer les signes d’une gêne confinant presque à la panique.
En vérité, la raison de cette attitude était exogène : par la fenêtre entrouverte, la reine venait de percevoir certains bruits trahissant, à n’en pas douter, le retour prématuré des chasseurs. Visiblement inquiète, la pauvre Claude fixa dès lors la grande porte latérale donnant sur le palier du roi. Elle se forçait cependant à conserver les formes de la politesse.
— Peut-être vous serait-il agréable de voir combien ma sœur a grandi, et quelle petite femme elle...
La reine n’avait pas achevé sa phrase que l’huissier, d’une voix implacable, annonça le roi. Et la porte latérale s’ouvrit à deux battants.
Alors François parut. Il était tout sourire, mais sa démarche vacillante, son maintien appliqué, n’annonçaient rien de bon.
— Vous voilà, M’amie, en bien galante compagnie ! dit-il alors que l’assistance s’abîmait dans une seule
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