La Régente noire
vif.
— Le roi Henry compte beaucoup sur Calais, son seul pied sur le Continent, expliqua le jeune capitaine. Si nous pouvions prendre cette place, la menace anglaise se réduirait à peu de chose.
— Et qu’est-ce donc qui s’y oppose ? demanda Brézé.
— Oh ! Je crois que le roi n’est pas à Lyon par hasard : tout son esprit est en Italie, et les côtes normandes, comme les frontières du Nord, le soucient finalement assez peu...
Il y avait une pointe d’aigreur dans la voix de Montmorency qui secouait la tête.
— Notre situation par-delà les monts est pourtant compromise... Vous savez que, maintenant, Venise elle-même prétend nous tourner le dos !
Mais déjà l’archevêque s’éloignait ; quant au sénéchal, il s’avançait vers les corporations... Sur le parvis, la foule des mendiants, à la barbe des gardes, tentait de soutirer aux bourgeois quelque obole. En dépit des auvents, le soleil était déjà brûlant. Tandis que Saint-Vallier et sa fille se retiraient en litière vers le donjon de Bouvreuil, Louis de Brézé prit son protégé par la manche et, le dos plus arrondi que jamais, le conduisit, sous escorte légère, de l’autre côté de la place dite de la Pucelle.
— Rouen ne s’est jamais si bien portée, lança-t-il. Métallurgie, soierie, draperie à Darnétal... Nous recevons du sel de Guérande, mais aussi du Portugal ! Nos marins s’en vont pêcher le hareng dans la Baltique, et la morue du côté de Terre-Neuve. Savez-vous que l’on peut acheter des draps rouennais jusque dans les Indes ?
— Quelle confiance peut-on faire à votre beau-père, et que sait-il des intentions du connétable ? demanda Montmorency.
Le grand sénéchal éclata de rire. Son disciple pouvait aussi, quand rien ne s’y opposait, se montrer fort direct.
— Mon petit, répondit-il – je devrais dire : « monsieur le maréchal » –, je sondais justement notre homme avant que vous n’arriviez. Je n’affirmerais pas qu’il est dans toutes les confidences, mais assurément, il en sait plus qu’il ne veut bien en dire. Nous devrions pouvoir l’utiliser pour tenter de savoir ce qui se trame à Moulins.
— Assurons-nous déjà que le connétable ne l’utilise pas pour apprendre ce qui se dit à Saint-Germain !
— Sauf si cela devait nous arranger...
Devant une échoppe, des artisans reconnurent le grand sénéchal. Tout fiers dans leurs costumes de fête, ils voulurent que ce haut personnage touchât leur progéniture et goûtât une brioche à peine sortie du four. Louis de Brézé tira une pièce d’argent de son gousset, et la donna à l’aîné des enfants qui en parut transfiguré.
Un peu en retrait, Montmorency observait tout cela, goguenard ; à scruter sa large face, on n’aurait pu dire s’il participait de loin à la jovialité ambiante ou s’il s’en moquait tout à fait.
1 - L’artichaut était alors considéré comme aphrodisiaque.
Chapitre V
Été 1523
Château de Saint-Germain.
L a reine Claude dînait seule vers trois heures de relevée, servie par ses officiers de bouche, devant ses dames et quelques seigneurs de passage – notamment un ambassadeur allemand qui, ce jour-là, s’était mis au premier rang pour compter les pâtés et ragoûts qu’une si grosse princesse pourrait ingurgiter ; il en fut pour ses frais, la reine s’avérant sobre dans ses agapes.
Il est vrai que la souveraine, usée par sept pénibles grossesses, avait acquis, au fil des ans, une corpulence confinant à l’obésité. De son père, le roi Louis XII, elle avait hérité un nez trop grand, qu’accusait un léger strabisme ; sa mère, la reine Anne de Bretagne, lui avait légué de surcroît sa petite taille et sa claudication... Pourtant, en elle, ces disgrâces physiques se trouvaient éclipsées par une distinction suprême. Pieuse et juste, la reine de France possédait aussi une vaste culture. Sa conversation était un enchantement, et le charme qu’elle y mettait justifiait sans doute que François I er , en dépit de ses infidélités, fût demeuré si proche de son épouse, attentionné autant qu’il pouvait l’être.
— Monseigneur le connétable de France ! annonça soudain l’huissier.
La reine – chose rare – interrompit un moment son repas. Au milieu du murmure étouffé de l’assistance, Charles de Bourbon s’avança jusque devant elle et fit sa révérence. Le visage de Claude s’illumina.
— Cousin, quelle belle
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