La Régente noire
une face terreuse, hirsute, assez étrangère à sa beauté légendaire. Par un souci de cohérence, il avait décidé de rester alité, et salua le souverain depuis sa couche, les cheveux trempés de sueur, un voile sur les yeux.
— Sire, marmonna-t-il, que Votre Majesté me pardonne ce manquement à tous les devoirs ; simplement, les forces me manquent...
— J’imagine votre gêne, mon cousin, et m’en voudrais de l’augmenter ! Sachez donc quelle part je prends à vos tourments.
Après les civilités d’usage, François s’appuya de manière ostensible sur le bord du lit, ce qui eut pour effet immanquable d’agacer l’entourage du connétable. Pour sa part, Charles affecta de trouver flatteuse une telle marque de familiarité. Le roi, tout en se forçant à sourire, ouvrait déjà les hostilités.
— Monsieur, comprenez le trouble où je suis : l’on m’avertit de toutes parts que vous auriez intelligence avec l’empereur et les Anglais !
— Vraiment, sire...
— Naturellement, je n’en crois rien ! Je suis bien assuré de la bonne affection que vous portez à ma couronne. N’êtes-vous pas, vous-même, issu de ma Maison ? Simplement j’ai eu vent – nous en avons parlé déjà – de vos projets d’union... Et j’aimerais que nous en recausions bien franchement. Entre parents.
Sur quoi, il posa crûment la question.
— Avez-vous l’intention d’épouser une sœur de l’empereur ?
Charles de Bourbon fit à son tour l’effort de sourire, mais son rictus parut à tous fort contraint.
— Sire, je sais que mes ennemis me desservent sans cesse auprès de vous et de Madame. C’est l’envie qui parle par leur bouche. Mais je vous en conjure : ne voyez dans leurs propos que la plus vile calomnie !
— Enfin : allez-vous devenir, oui ou non, le beau-frère de Charles Quint ?
Le connétable sentit qu’il allait lui falloir concéder quelque chose.
— Il est vrai, sire, que l’empereur m’a fait approcher plusieurs fois dans ce but. Mais en pure perte, sachez-le.
— Vous n’épouserez donc point sa sœur ?
— Eh ! N’avons-nous pas assez de beaux partis en France ?
Un éclat métallique traversa le regard du roi ; si dur, si mauvais, que le connétable abandonna sur-le-champ cette première ligne de défense, et consentit à brûler quelques-uns de ses vaisseaux.
— Toutefois... En bon sujet et loyal serviteur, lâcha-t-il à brûle-pourpoint, je souhaiterais révéler certaines choses à Votre Majesté.
Il fit l’effort de se redresser dans le lit, et se mit à frissonner de telle sorte que personne ne douta plus de la fièvre qui le malmenait. L’assistance retenait son souffle. François sauta sur l’occasion.
— À la bonne heure, voilà ce que j’espérais entendre !
Le duc de Bourbon émit une sorte de hoquet. D’un signe, il pria ses proches de sortir ; ceux du roi les suivirent à regret.
Dès qu’il fut seul face à François, Charles reprit.
— Je ne sais quels bruits sont remontés jusqu’à vous, mais il n’est que trop vrai que l’empereur, ainsi d’ailleurs que le roi d’Angleterre, m’ont fait secrètement des avances, ces temps derniers.
Le souverain soupira. L’autre poursuivait.
— Si je ne vous en ai pas averti plus tôt, c’est que je tenais à le faire de vive voix. Bien entendu, je n’ai donné aucune suite à ces offres de vos ennemis ; et pour tout dire, je regarde comme une injure qu’ils aient seulement eu l’ambition démente de m’attirer dans leurs rangs.
— À la bonne heure ! répétait François dont le teint, de soulagement, s’empourprait à vue d’œil.
Le connétable aussi devenait rouge – moins de soulagement, sans doute, que de honte devant tant de mensonge. Le roi hocha la tête.
— Je suis ravi que vous m’ayez fait cette confidence. Cela va dissiper bien des nuées entre nous.
Vainqueur haut la main, François pouvait fort bien en rester là ; seulement il tenait à vider l’abcès.
— Mon cousin, poursuivit-il, j’apprécie d’autant plus votre loyauté que je suis bien conscient de vous avoir fait du tort.
— Sire...
— J’aurais même pu concevoir que la crainte de perdre vos États n’ait quelque peu terni l’affection que vous m’avez toujours portée.
— Sire...
— Et pourquoi pas ? Je puis comprendre ces choses-là. Et je veux vous rassurer tout à fait : soyez donc certain, si jamais vous perdiez votre procès contre la Couronne, que je
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