La Régente noire
connétable qui, sachant le souverain à quelques lieues seulement de Moulins, avait piétiné les usages et négligé d’accourir à sa rencontre. Pour excuser une grossièreté frisant le lèse-majesté, le duc de Bourbon avait prétexté une fièvre maligne.
Le roi s’empara de la lettre du grand sénéchal, en scruta brièvement les sceaux qu’il brisa lui-même et, continuant de sourire aux pitreries de ses amis, la déplia d’un geste sec. À mesure qu’il lisait, cependant, la gaîté disparut de son visage pour faire place à de l’inquiétude. François était livide quand il transmit la lettre à Bonnivet.
— À peine croyable, souffla-t-il.
Gautier comprit qu’il devait à présent se retirer.
— Laissez-nous, ordonna le roi aux autres gentilshommes.
Il n’avait retenu, outre Bonnivet, que Montmorency, le vieux La Tremoille et le comte de Toulouse-Lautrec. Quand il leur eut exposé, dans un silence à chaque phrase plus pesant, le contenu de la missive, il sollicita l’avis de ces grands soldats.
Bonnivet prit la parole.
— Courons sus au traître ! grogna-t-il. Allons-y de ce pas, qu’attendons-nous ?
Une rumeur favorable accueillit ce cri du cœur. Seul Montmorency demeurait silencieux. Le roi le remarqua.
— Qu’en pensez-vous, maréchal ?
— Je comprends, sire, et partage la colère de l’amiral. Pour autant... Je me demandais s’il ne serait pas préférable de prendre le connétable à son jeu, et forts de ce que nous savons, d’aller tout benoîtement lui proposer une entente.
Bonnivet s’empourpra.
— Vous voulez faire la paix ? Vous voulez encore faire la paix !
François le calma d’un geste.
— Maréchal, dit-il, vous avez, comme nous autres, pris la mesure de la trahison. Comment dès lors pourrait-il être question d’entente ?
— Comprenez-moi, sire, tenta Montmorency. À supposer que les renseignements livrés par ces gentilshommes normands soient bons – et je ne doute pas qu’ils le soient – cela signifie que le connétable est au cœur d’un vaste complot contre votre sûreté, ourdi par l’empereur et par le roi d’Angleterre. Si, dans ces conditions, Votre Majesté parvenait à retourner la pièce maîtresse du complot, c’est tout l’édifice qu’elle ferait tomber d’un coup. La France éviterait une guerre intestine, vous-même reprendriez le contrôle de la situation – quitte à régler son compte, en temps utile, au connétable félon. Mais plus tard. En position de force...
Bonnivet grogna de plus belle, et le roi manifesta, par une moue dubitative, qu’il n’adhérait guère à ce raisonnement. Après tout, pourquoi eût-il tendu la main à ce grand serviteur retourné, à ce chevalier sans foi qui, en dépit de ses belles protestations, travaillait à la perte de sa dynastie et de son royaume ? Montmorency insista.
— Pour l’heure, plaignez Bourbon de sa maladie et accourez à son chevet ; faites étalage de force et de droiture ; et offrez à cette âme égarée la porte de sortie qu’elle n’a cessé de guigner depuis des mois.
— Et s’il nous tendait un piège ? demanda le vieux La Tremoille.
— Je ne prétends pas qu’il faille se jeter désarmé dans la gueule du loup ! Rappelons si vous voulez, avant d’entrer dans Moulins, les lansquenets du Bâtard de Savoie... Ils ont pris la route ce matin, ils ne doivent pas être bien loin.
Bonnivet haussa les épaules ; quant au roi, concentré sur ses pensées, il faisait songer à ces fauves qui se forcent, hors de tout appétit, à ingurgiter une viande qu’ils savent bonne pour eux.
— C’est bon, lança-t-il enfin au maréchal ; je me range à votre bon conseil.
Il reprit aussitôt un ton de majesté royale.
— Dès que les hommes de M. de Savoie nous auront rejoints, dit-il, nous nous rendrons au chevet de ce cousin par trop souffrant.
Moulins.
C ’est entouré d’une troupe imposante – placée sous le commandement du duc de Longueville – que François I er vint à la rencontre de son connétable. Le roi de France fit dans Moulins une entrée martiale, pour ne pas dire militaire. Il se dirigea droit vers l’élégant château des Bourbons et, laissant à distance sa lourde escorte, se fit annoncer, en petite compagnie, à cet hôte malgré lui qui se disait la proie de fièvres malignes.
Le connétable, travaillé de fait par la maladie, à moins qu’il ne fût rongé de remords, devait présenter à ses visiteurs
Weitere Kostenlose Bücher