La Régente noire
d’une escorte de deux cent quarante hommes à cheval. Mais ses longues hésitations lui avaient fait perdre le bénéfice de la surprise. Talonné par les troupes royales, incapable d’opérer sa liaison avec de quelconques renforts parmi les conjurés, il allait bientôt connaître les affres de la retraite, puis de la course-poursuite... Et l’Europe étonnée le verrait tour à tour abandonner le gros de ses troupes, fuir et ruser, aller jusqu’à revêtir la tenue de valet, jusqu’à ferrer ses chevaux à rebours pour finir, accompagné du seul et fidèle Pompérant, par gagner Brioude, Le Puy, Vienne en Dauphiné – tel un fugitif !
Au pont de Vienne, Pompérant s’inquiéterait de savoir si le passage était gardé. Et les deux fuyards passeraient le Rhône à bord d’un bac sur lequel une vieille femme, intuitive, les reconnaîtrait.
— Ne seriez-vous pas de ceux qui ont fait les fous avec M. de Bourbon ?
À cette question cruelle et cependant innocente, l’ancien connétable ne devait répondre que par un triste sourire...
Puis il irait se perdre dans les confins de la Comté.
1 - Éperonna.
Chapitre VI
Automne 1523-Hiver 1524
Château de Blois.
L e connétable enfui, Gautier avait repris ses quartiers à Lyon, chez le duc d’Alençon. À peine y était-il rentré que Montmorency, lui-même en partance pour les cantons helvétiques, l’avait chargé de la plus douce mission.
— Mon ami, avait-il ordonné de sa voix chaude, vous irez trouver la grande sénéchale à Blois, chez la reine, et lui remettrez ceci de ma part.
La grande sénéchale ! Cette dame admirable qui jamais ne se déplaçait sans la plus merveilleuse des demoiselles ! Pour un peu, le messager aurait embrassé le maréchal. Celui-ci, tout en précisant ses directives, avait tendu à Gautier une lettre déjà scellée et roulée dans un tube d’écaille.
— Avant toute chose, vous veillerez que Mme de Brézé soit seule et tranquille pour découvrir la missive ; mais vous aurez aussi le plus grand souci de l’urgence : il est important qu’elle soit informée avant que certains esprits malveillants n’aient eu loisir de la surprendre.
Aussi bien Gautier, brûlant les étapes à son habitude, et ne faisant halte aux relais que le temps nécessaire à changer de monture, avait-il volé vers son but comme l’ogre des contes. Pendant tout le voyage, il n’avait guère songé qu’à Françoise, s’usant l’esprit à l’imaginer, à la revoir, à se la figurer de toutes les façons... Il visualisait sans se lasser les infinies variantes de ces retrouvailles, et déclinait à plaisir les péripéties, des plus futiles aux plus graves, dont cette échéance rêvée pourrait peut-être s’enrichir.
Enfin, par une matinée venteuse et changeante, Gautier se vit à portée des faubourgs de la cité royale. N’y tenant plus, il attacha son cheval à une branche, et comme l’aventurier impatient de découvrir un site, grimpa sur le talus bordant la Loire. Merveille : la ville s’étendait là, toute proche, avec ses toits pentus et luisants que dominait, par-delà le fleuve, le grand château tout hérissé encore de palans et de grues. Et dans les flancs de ce château... Le souffle court, Gautier se dit que son heure venait enfin.
Il ne lui restait pas plus d’une lieue à couvrir. Autant dire qu’à une demi-heure de là, quelque part derrière ces murs de tuffeau, sous ces pans d’ardoise fine, respirait celle qui occupait maintenant toutes ses pensées. En ce même instant, d’autres que lui, là-bas, pouvaient croiser le regard tendre et malicieux de l’archange aux cheveux de vermeil filé !
De son côté, après tant de semaines d’une attente vaine, usante, Françoise de Longwy n’attendait plus vraiment. De sorte que, ce jour-là, lorsque, vers midi, ses pas portèrent la jeune fille du côté des écuries – comme ils l’avaient menée cent fois déjà dans le passé – elle était loin de se douter que cette promenade, en dépit d’un temps gris et triste, serait l’une des plus belles, des plus mémorables de toute son existence.
Françoise approchait des arcades de brique et de pierre, totalement désertes à cette heure, quand elle tomba sur lui, à l’improviste.
— Gautier ?
Le jeune homme s’efforça de dominer son émotion ; il souriait à belles dents, le regard joyeux, comme si cette rencontre n’était qu’un heureux hasard – la surprise agréable
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