La Régente noire
méritait si fort le surnom courant les offices, et faisant d’elle, aux yeux du commun, la régente noire .
1 - La syphilis.
Seconde partie
Les otages
Chapitre VIII
Hiver et printemps 1525
Lyon, abbaye de Saint-Just.
S urgis de lointains gris, givreux, les cavaliers traversèrent Lyon dans un jour encore maigre. C’était le 1 er mars. Ils déchirèrent la brume s’attachant aux lits de la Saône et du Rhône et, gravissant le coteau jusqu’au cloître fortifié de Saint-Just, où résidait la Cour, s’en firent ouvrir les portes à grand bruit. Un remous fébrile agita bientôt les couloirs et galeries du vieux couvent ; on ranima des feux ; on ralluma des torches. La nouvelle se répandit que M. de Montpezat, officier du roi, et le vicomte Adrian, secrétaire de la duchesse d’Alençon, arrivaient bottés et crottés du Piémont. Porteurs de mauvaises nouvelles.
Depuis l’automne précédent, François I er semblait pourtant bénéficier d’un retour de fortune. Les difficultés de Charles Quint avec les paysans tudesques 1 , les atermoiements d’Henry VIII, l’enlisement du connétable de Bourbon sous les murs de Marseille, lui avaient rendu assez de confiance pour l’engager de nouveau à faire campagne dans le Milanais. Écoutant l’avis des boute-feu, comme Bonnivet, de préférence à celui des modérés, comme Montmorency, il avait même fini – au grand dam de sa mère – par mettre le siège devant Pavie où ses troupes, attaquées du dehors, s’étaient retrouvées prises entre le marteau et l’enclume 22 ...
La régente, qui cette nuit-là n’avait pas dormi, se fit recoiffer hâtivement et, tout juste emmitouflée dans une chape de grenette noire, reçut les messagers sur-le-champ. Les deux gentilshommes s’agenouillèrent à ses pieds sur le carrelage lustré. Montpezat parla seul, la gorge nouée. Ce qu’il avait à dire relevait du désastre : Pavie perdue, la noblesse décimée, l’armée taillée en pièce. Des morts par milliers... Louise serra les lèvres mais on ne la vit pas chanceler. La Palice, La Tremoille, et même Lescun, frère de Mme de Châteaubriant, tués. Tué aussi le bâtard de Savoie... À l’énoncé du nom de son demi-frère, Louise cligna des yeux et s’appuya au rebord d’une table. Également tué l’amiral de Bonnivet, qui avait poussé à l’affrontement et, réalisant sa faute, de désespoir s’était jeté sans heaume sur les lances ennemies.
— Et le roi ? demanda la régente d’une voix blanche.
— Le roi est sauf, madame. Seulement...
— Seulement ?
— L’ennemi s’est assuré de son auguste personne. Votre fils est tenu captif.
Marguerite d’Alençon était entrée sur ces mots. Bouleversée, elle courut jusqu’à sa mère et se jeta dans ses bras. Les deux femmes demeurèrent un moment silencieuses, frissonnant sous l’effet d’un vent coulis, glacial. La princesse articulait tout bas de vagues prières. La régente hochait la tête. D’un ton souverain, elle finit par demander le nom des prisonniers d’importance.
— Le maréchal de Montmorency a été pris, répondit Montpezat ; et M. Chabot de Brion ; et le roi de Navarre, et le comte de Saint-Pol, et M. d’Albret...
Suivirent des noms illustres. À chacun d’eux Madame vacillait, d’une manière imperceptible.
— Sa Majesté a montré le plus grand courage, crut bon d’ajouter le messager.
Du reste, il ne mentait pas : François I er s’était battu comme un lion. Il avait eu son cheval tué sous lui, avait essuyé des blessures à la face, au bras, à la cuisse. Avait affronté presque seul, sous les tirs d’arquebuse, des Espagnols et des Napolitains soutenus par les mercenaires du duc de Bourbon... Et cependant il avait tout enduré sans faiblir.
À la fin, il n’avait dû son salut qu’à l’intervention d’un certain Pompérant, homme lige du connétable, et s’était rendu au chef des Impériaux, le Flamand Charles de Lannoy.
La mère et la sœur du roi-chevalier pleurèrent longuement à ce récit, partagées entre un abattement légitime et l’effroi que leur inspirait un avenir des plus sombres. Un jour grisâtre avait fini par traverser les petits carreaux givrés de la chambre.
Marguerite s’adressa au jeune Adrian, son secrétaire.
— Pouvez-vous me promettre, monsieur, que ce rapport ne nous cèle rien, et que mon frère est bien en vie ?
C’est Montpezat, froissé, qui répondit lui-même.
— Je
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