La Régente noire
n’ai dit, madame, que la vérité.
— Et mon mari ? rétorqua la princesse. Vous ne nous dites rien du duc d’Alençon...
Cette fois l’officier parut désarçonné. Il esquissa une grimace et baissa la tête.
— Eh bien ? insista Marguerite. Mon mari serait-il mort, lui aussi ?
Le vicomte Adrian vola au secours de son compagnon.
— Que la princesse se rassure, monseigneur est sain et sauf. Il n’a subi aucun dommage.
Cette fois, c’est Madame qui s’inquiéta.
— Vicomte, demanda-t-elle, mon gendre a-t-il au moins fait bon visage ?
— Assurément, madame... Mgr le duc d’Alençon, en charge de l’aile gauche, a su, dans sa grande sagesse, retenir son armée et lui faire tourner bride, ce qui a sauvé le plus grand nombre de ses hommes – sans qu’ils aient même eu à se battre.
— C’est bien, j’ai compris.
La mère et la fille échangèrent un regard de détresse. Ainsi donc, non seulement l’époux de Marguerite ne s’était pas illustré sur le champ de bataille, mais sa conduite fuyante allait être, à n’en pas douter, jugée honteuse, indigne d’un prince aux marches du trône... Surcroît d’ennui : fallait-il que, dans cette hécatombe, la honte vînt s’ajouter au malheur ?
— Ne perdons pas le cœur ! lança bravement la régente.
Souvent, au cours d’une existence jalonnée d’épreuves, Louise de Savoie s’était heurtée à des forces contraires. Jamais elle n’avait renoncé. Dans les pires moments, elle avait su relever le menton, serrer les mâchoires... Faire face ! Elle le ferait une fois encore. Et puisque, une fois encore, le sort du royaume reposait sur ses épaules, elle saurait montrer à tous que cela ne l’effrayait pas.
Elle se tourna vers un secrétaire.
— Ne perdons pas le cœur, redit-elle. Nous ferons dire une messe pour mon frère et pour tous nos héros. Qu’on m’envoie Duprat ! Il convient avant tout d’assurer l’ordre public. Nous allons écrire aux bonnes villes, et prier les Cours souveraines de nous déléguer leurs représentants. Je veux aussi que l’on convoque les lieutenants généraux, et que soit établie au plus vite la contribution possible de chaque province.
Elle s’arrêta, pour reprendre haleine, et vit entrer le chancelier.
— Ah, Duprat ! Vous tombez bien ! Peut-on joindre au plus vite vos amis à la Cour d’Angleterre ? Nous fondons nos derniers espoirs sur l’indécision du roi Henry. Puisse-t-il demeurer en-dehors de cela ! Et puisque l’Histoire nous offre un triste précédent, tâchez donc, tant que vous y serez, de me trouver des renseignements sur la captivité et la rançon du roi Jean, après Poitiers. En 1356, je crois...
Marguerite, hébétée, observait sa mère avec effarement. Mais où donc cette femme puisait-elle son ressort ? Dans quelle rage de vivre ? Dans quelle éperdue passion du pouvoir ?
— Je crois, ajoutait Louise de Savoie, que le moment est venu de reprendre langue avec le Grand Turc 23 ...
Marguerite soupirait ; pour sa part, elle ne cherchait plus que le calme, le silence, une retraite où pleurer. La princesse brûlait de réciter des prières pour le salut de son satané monarque de frère, abandonné de la Providence.
Elle allait quitter les appartements de sa mère quand un nouveau messager fut annoncé. Couvert de poussière, à demi mort de fatigue, il apportait une lettre de la main du roi. Marguerite se précipita pour la recevoir et, quoique très désireuse de l’ouvrir, la tendit pieusement à la régente.
— Lisez ! dit Louise en affectant de conserver son calme.
Il est vrai qu’elle avait commencé à dicter d’importantes missives.
Marguerite respira le parfum de la lettre envoyée par son frère adoré, la décacheta nerveusement et, dépliant d’un geste sec le morceau de papier, parcourut le message en silence.
— À haute voix, insista la régente.
Sa fille s’éclaircit la gorge.
— « Madame... » C’est à vous que le roi s’adresse, ma mère...
— Oui, lisez !
— « Madame, pour vous tenir au courant de mon infortune, sachez que, de toutes choses, ne me sont demeurés que l’honneur et la vie, qui est sauve. Espérant que ces nouvelles vous apporteront un peu de réconfort, j’ai prié qu’on me laissât vous écrire... » Oh, mon Dieu !
— Lisez, ma fille !
— « ...J’ai prié qu’on me laissât vous écrire. Cette grâce m’ayant été accordée, je vous supplie de ne pas vous
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