La Régente noire
désespérer, et d’user de votre prudence habituelle. Car j’ai l’espoir, à la fin, que Dieu ne m’abandonnera point. Je vous recommande vos petits-enfants et les miens... » Pauvres petits !
— Mais lisez donc !
— « ...Vos petits-enfants et les miens. Je vous prie de faire donner sûr passage vers l’Espagne au porteur, qui va chez l’empereur pour savoir comment il veut que je sois traité. Et sur ce, très humblement, je me recommande en votre bonne grâce. Votre très humble et obéissant fils, François. »
Cette lettre voulait sans doute rassurer une mère ; en Louise, elle inquiéta surtout la régente. Tant d’aveuglement, chez ce roi ! En entendant son fils se proclamer obéissant, elle n’avait pu s’interdire un haussement d’épaule...
Quant à la princesse, rassurée certes sur la santé de son frère mais, dans le même temps, épouvantée d’une situation dont elle prenait tardivement la mesure, elle s’était effondrée. Cela rappela sa mère aux réalités. La régente s’en vint la serrer dans son giron. Elle lui prit la lettre des mains.
— Nous devons répondre au roi, dit-elle. Écrivez !
Forteresse de Pizzighetone.
F rançois I er , à travers les barreaux d’une étroite ouverture, admirait la campagne lombarde, qu’une saison précoce rendait riante et tendre. Tout, dans ce paysage renaissant, concourait à émouvoir le souverain captif : le mugissement d’un veau courant après sa mère, des pousses vertes partout aux arbres, le scintillement du ruisseau courant au pied de la grosse tour... À trente ans passés, le roi de France connaissait la première entrave à sa liberté ; et pour l’infatigable chasseur qu’il était, pour l’athlète épris de vastes horizons, c’était une souffrance indicible.
Le roi soupira, puis il quitta ses barreaux pour revenir s’asseoir sur un coin du lit. Comme la plupart des détenus lettrés, il avait entrepris de rimailler sur son infortune...
Vaincu je fus et rendu prisonnier,
Parmi le camp en tous lieux fus mené
Pour me montrer, çà et là promené...
Les malheurs, une fois mis en vers, devenaient-ils plus supportables ? Il est vrai qu’au soir de Pavie, à la douleur de la défaite contre les Impériaux, et au tracas des conséquences qui n’allaient pas manquer d’en découler, était venue s’ajouter une cascade d’humiliations dont le jeune monarque avait enduré la morsure. On lui avait ôté sa cotte d’argent, on l’avait privé de ses armes somptueuses, on l’avait hissé sur un cheval ordinaire... Puis on l’avait exhibé aux troupes impériales, dans l’intention de les rassurer quant au prochain paiement de leurs gages : quelle plus belle rançon espérer en effet que celle du roi de France ? Au détour d’un bivouac, un arquebusier espagnol, fendant les rangs, avait tendu à François une balle de pistolet tout en or. « Je l’avais faite, annonça-t-il, exprès pour tuer Votre Majesté ! Elle pourrait servir à Sa rançon... » Le prisonnier, aux lèvres un sourire à peine forcé, avait reçu ce don inattendu...
Pour le reste, les généraux ennemis s’étaient montrés bons princes. Le Flamand Charles de Lannoy 24 , avec toute la pompe requise, avait reçu la reddition ; puis le marquis de Pessaire, l’un des plus grands capitaines de Charles Quint, avait été jusqu’à revêtir le deuil pour prendre livraison de l’otage... Seulement le roi, vaincu, n’avait pu s’épargner les regards du connétable, vainqueur !
Lors de leur entrevue précédente, à Moulins, Bourbon avait dû feindre la maladie pour échapper à ses obligations féodales. Au fond de lui, il ne pardonnait pas à François d’avoir été contraint de s’humilier de la sorte ; aussi prit-il, au soir de la victoire, une revanche pleine et savoureuse. Entrant, comme à l’improviste, au souper du roi défait, il avait bien appuyé sa révérence et, prenant la parole sans attendre qu’on la lui donnât, assura « son cousin » de la part qu’il prenait à ses malheurs.
— Vous n’êtes pas, fit dignement observer le vaincu, très bien placé pour me plaindre...
— On n’est jamais déplacé quand c’est le cœur qui parle.
— Et le vôtre, ironisa François, m’est dévoué, comme chacun sait...
— À la bonne heure ! s’exclama Charles en reprenant, exprès, une des expressions du roi.
Pour le reste, le connétable mit un point d’honneur à se montrer, au cours
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