La Régente noire
noir où brillaient des reflets nocturnes.
— Aidez-moi, murmura Madame, mes jambes me font si mal...
Diane se précipita vers elle avec un empressement où entrait, certes, du respect pour sa nouvelle maîtresse, mais aussi l’inconscient et permanent désir de racheter, par un dévouement zélé, la conduite passée de son père.
— Madame, dit-elle, la princesse Marguerite est venue vous...
— Je suis au courant, coupa Louise. On m’a prévenue.
À présent droite et ferme, elle ouvrit ses bras à sa fille qui vint s’y réfugier, s’y pelotonner comme une enfant. Marguerite sanglotait de nouveau.
— Là, là, dit la Régente en écrasant une larme. Après tout, ce n’est point une surprise... Je vous avais dit, l’autre jeudi, que cette maladie nous la prendrait.
— Croyez-vous, demanda la princesse, croyez-vous qu’elle soit entrée en Paradis ?
— Sans aucun doute.
La grand-mère avait lâché cette réponse du ton le plus détaché. Du moins ses traits, tirés par la fatigue, contribuaient-ils à lui donner un grand air de tristesse... Madame avait passé la nuit à étudier différents moyens de contrer les effets d’une sécheresse terrible, qui partout dans le royaume avait tué les récoltes et multiplié les foyers d’incendie. Elle désigna une pile de rapports.
— C’est le royaume entier qui flambe, dit-elle.
Elle serrait Marguerite contre elle.
— En Provence, votre frère doit avoir bien chaud...
Louise le savait : cette évocation de François était seule capable de distraire un instant l’esprit, si malheureux, de Marguerite.
— Avez-vous reçu des nouvelles ? demanda la princesse en ravalant ses larmes.
— Oui... Le connétable se croit le maître d’Aix, où il parade. Mais il perd du terrain, et nos troupes font merveille.
Marguerite se signa, imitée aussitôt par Diane et Françoise. Soudain, contre toute attente, la régente s’en prit à cette dernière.
— Mademoiselle, dit-elle, je parlais de vous tantôt.
Françoise esquissa une révérence. Louise de Savoie poursuivit.
— Vous n’ignorez pas, sans doute, que vos liens de parenté avec notre Maison vous créent certaines obligations.
— Madame, je n’ai...
— L’on me dit que vous auriez noué liaison avec un simple écuyer de mon gendre, de surcroît luthérien.
— Madame, je...
— Évidemment, cela ne saurait être.
La régente se tourna vers la grande sénéchale.
— Je vous serais reconnaissante de mettre bon ordre à cette affaire, et d’éviter qu’à la bâtardise ne vienne s’ajouter une mésalliance qui nous vouerait tous au ridicule.
Diane s’inclina. Françoise semblait tétanisée.
— Madame...
— L’affaire est close. Je souhaite rester un moment seule avec ma fille.
De ce jour, Françoise devait comprendre qu’aucun bonheur, jamais, n’est fermement établi. En embrassant Gautier, quelques semaines plus tôt, à son départ pour la guerre, elle avait craint pour sa vie, forcément, pour sa santé exposée au périlleux hasard des champs de bataille. Elle avait tremblé pour lui, depuis lors, un bon millier de fois, et n’avait jamais vu entrer un courrier dans la cour d’honneur sans ressentir un pincement au cœur.
A présent, ce qu’elle éprouvait, c’était une douleur plus dense, plus sourde ; elle comprenait que les peurs diffuses n’étaient rien – même, qu’elles étaient douces – comparées à cette assurance de l’adversité, à la certitude de devoir perdre ce qu’elle avait de plus cher.
La jeune fille se jeta tout habillée sur son lit, et s’enfouit le visage dans ses oreillers pour étouffer des plaintes qu’elle ne pouvait contenir. Entre deux plaintes, elle s’en voulait peut-être de pleurer sur son amour plus que sur le sort de la princesse Charlotte. Une pauvre petite qui, elle, ne connaîtrait jamais les tourments de l’amour... Mais n’était-ce pas préférable, à tout prendre ?
Françoise de Longwy demeura longtemps, la nuit suivante, debout à sa fenêtre, imaginant son bel écuyer en train de ripailler quelque part, insouciant, ou bien de dormir, peut-être... Lui, là-bas, ne pouvait se figurer la sentence inhumaine qui venait de s’abattre sur leur histoire. Françoise en portait seule tout le poids ; et c’était comme un poinçon qu’on lui eût enfoncé dans le flanc.
Maudite Louise, maudite ! Satanée vieille au cœur sec, et qui méritait bien, se disait l’amoureuse foudroyée, qui
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