La Régente noire
il se montra tout aussi courtois que deux semaines plus tôt, à Madrid.
— Nous avons cru ne pouvoir mieux faire, connaissant les goûts de Votre Altesse Royale, que de lui attribuer pour résidence le plus raffiné des palais de Tolède.
L’empereur lui désigna son hôte, don Diego de Mendoza. La visiteuse salua poliment.
— Je ne suis pas venue ici pour mon plaisir, répondit-elle dans un excellent espagnol. Mais je n’en remercie pas moins Votre Majesté des attentions qu’elle me réserve.
Ce ton fort officiel fut abandonné, dès le matin du lendemain, lorsque Charles et Marguerite se retrouvèrent en tête à tête, à l’Alcazar. Aucun conseiller, aucun diplomate ne devait assister à ce premier entretien ; et les portes n’étaient gardées que par des suivantes de la princesse.
— Comprenez-moi, répétait la Française en variant le ton. La libération du roi doit être un préalable à toute négociation entre nous. Hors de là, point d’accord ; et nos plus honnêtes concessions seraient finalement réputées caduques.
L’Espagnol – il était en vérité flamand plus qu’espagnol, et régnait sur des contrées essentiellement germaniques, pour ne rien dire des américaines – écoutait bien plus qu’il ne parlait. Parfois, souriant à Marguerite, il allait jusqu’à hocher la tête, donnant le sentiment d’entrer pleinement dans ses vues... La princesse, alors, se prenait à rêver d’un accord obtenu vite et sans résistance. Puis, d’un seul mot, Charles anéantissait cet espoir, et se révélait aussi intransigeant sur la captivité du roi de France qu’elle-même avait pu se montrer ardente à plaider sa libération.
— Vous devez admettre, assénait-il, que votre frère a perdu cette campagne, et qu’il est pour l’heure à notre merci. Je ne puis d’aucune façon, sauf à trahir tous mes devoirs, élargir un prisonnier qui fait tout le prix de notre victoire.
— Mais puisque le roi seul peut négocier la paix !
— Si vous n’en avez pas le pouvoir, que faites-vous ici ?
— Je suis venue me faire, auprès de vous, l’interprète d’un royaume orphelin !
— C’est bien à ce royaume qu’à travers vous, je m’adresse.
Ce vain échange s’éternisa jusqu’au soir. De temps à autre, un huissier du palais entrebâillait la porte pour y passer la tête ; l’empereur baissait les paupières pour signifier que l’entretien n’était pas terminé, et le battant se refermait discrètement.
À la fin, soucieuse de ne pas trop décevoir l’empereur dans ses attentes, Marguerite se résolut à jouer la redoutable carte que sa mère avait glissée dans son jeu.
— Pour vous montrer notre bonne foi, lança-t-elle, et donner à Votre Majesté des gages quant à la pureté de nos intentions, je veux vous parler de ce qu’il se trame en Italie à l’heure où nous parlons.
Elle n’était guère à l’aise dans ce rôle, et déglutit plusieurs fois de manière sonore, au moment de livrer les noms des alliés secrets de la France. Son vis-à-vis devait s’en amuser in petto , mais il fit mine de ne rien remarquer. Au demeurant, il avait adopté l’air détaché de celui qui, sachant déjà tout, ne saurait plus s’étonner de rien. Cette attitude intelligente, parce qu’elle minimisait considérablement le mérite des Français, conduisit Marguerite à se montrer d’autant plus précise dans ses délations.
— J’apprécie la bonne volonté que vous me témoignez dans cette rencontre, conclut Charles après qu’il eut recueilli ces longues et lourdes confidences ; et pour tout dire, j’espérais beaucoup que vous m’offririez cette preuve de confiance. Mais pour le reste, ce que vous me dites là n’est en rien nouveau pour moi, et ne me sera, j’en gagerais, d’aucune utilité.
C’était une manière assez déloyale de tout prendre sans rien donner. Marguerite voulut croire, pour se rassurer, que la récompense viendrait en son temps... Mais la séance commençait à lui peser énormément. L’empereur le remarqua.
— Vous plairait-il de rencontrer ma sœur, la reine Éléonore ? demanda-t-il en vue d’alléger l’atmosphère.
— Sire, j’en serais charmée.
La sœur aînée de l’empereur reçut à bras ouverts la sœur aînée du roi de France. Marguerite la détailla d’un œil intéressé. Bien qu’elle n’eût pas trente ans, Éléonore présentait les dehors d’une femme mûrie prématurément, et dont les
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