La Régente noire
mais sous ses voiles de deuil immaculés, elle paraissait fatiguée et, surtout, fort émue. Elle accepta sans se formaliser les embrassades, les cajoleries du geôlier de son frère ; puis, sans presque prononcer un mot, elle se laissa guider par lui, tout au long de couloirs et d’escaliers lugubres, jusqu’au galetas du roi.
Un flot d’émotions submergeait Marguerite en ce moment suprême – peut-être le plus intense de sa vie. Lorsque après maints détours, l’empereur s’effaça pour la laisser entrer dans la chambre du malade, elle porta ses mains à sa bouche et attendit un moment sur le seuil. Puis elle s’approcha du lit, de ce pas hésitant que l’on adopte parfois dans les moments cruciaux. Elle eut le cœur bien serré de voir le roi vieilli, amaigri, livide. Et presque sans connaissance...
Du reste, François la regarda, l’œil infiniment triste ; mais, victime de ses fièvres, il ne la reconnut pas.
La princesse ne l’embrassa pas moins tendrement, en son nom et au nom de leur mère. Le roi réagit à peine ; il ne prononçait pas un mot.
— Eh bien, dit-elle, mon bon seigneur, ce n’est pas l’accueil que vous aviez promis à votre « mignonne »...
— Voici enfin votre chère sœur, insista l’empereur pour la forme ; elle a fait le plus inouï des voyages pour vous voir !
Le roi consentit à dévisager Marguerite, mais aussi vite il détourna le regard et ferma les yeux. On vit alors la princesse étouffer des sanglots. Reprenant ses esprits malgré tout, elle s’enquit du traitement prescrit au malade et, s’imposant auprès de lui, prit en main les soins qu’on lui dispensait. Sans plus songer à ses fatigues, et quoiqu’elle s’assoupît souvent sur sa caquetoire, Marguerite ne devait plus quitter le chevet de son frère.
Trois jours plus tard, le 22 septembre, les médecins baissèrent les bras. L’abcès avait pris vilaine tournure ; la fièvre s’était installée. Certains praticiens déclarèrent que le roi passerait sûrement de vie à trépas dans les deux jours...
Alors Marguerite s’en remit au seul remède qu’elle eût jamais respecté : l’action de grâces. Loin de s’abîmer seule dans l’oraison, elle rassembla tous les fidèles autour du souverain captif et, malgré la relative exiguïté de la cellule, invita la petite Cour, agenouillée, à réciter avec elle une prière aux agonisants. Ne reculant devant aucun effort, elle alla jusqu’à faire dresser, dans un coin de la pièce, un autel de fortune où l’on pût dire une messe.
L’archevêque d’Embrun officia. À l’heure de l’élévation, le prélat s’approcha du mourant et, d’une voix forte, l’exhorta à regarder le saint sacrement. Le roi, des lointains où voguait son esprit, revint suffisamment à lui pour obéir ; il rouvrit un œil, fixa plus ou moins la grande hostie, amorça même un geste des bras... Marguerite, après la messe, lui mit l’hostie sous les yeux ; alors le roi parla.
— C’est mon Dieu...
— Sire ?
— C’est mon Dieu qui me guérira l’âme et le corps.
Il regardait la princesse étrangement et l’implora dans un souffle.
— Je vous prie de me permettre de Le recevoir.
— Mais sire, intervint l’archevêque, vous ne pourrez avaler...
— Si fait.
Aussitôt Marguerite détacha un morceau de la grande hostie et la lui passa entre les lèvres. La fervente dévotion du roi, dans cet instant, frappa si bien toutes les personnes présentes qu’elles s’agenouillèrent de nouveau comme un seul homme. La princesse reçut pour sa part ce qu’il restait du corps du Christ et, agenouillée la dernière près de l’épaule de son frère, s’abîma dans une intense prière.
Est-ce, comme devaient l’affirmer certains médecins par la suite, l’effort de la déglutition qui, aidant à crever l’abcès, sauva le roi François ? Dès le surlendemain, en tout cas, il était déclaré tiré d’affaires ; la semaine suivante, il aurait recouvré la santé.
Le matin où, enfin, il reconnut sa sœur, la scène des retrouvailles, pour différée qu’elle fût, parut merveilleuse. François couvrit enfin de baisers le visage de Marguerite – des baisers intenses, fiévreux, témoins de leur immense amour.
Lyon, abbaye de Saint-Just.
D epuis le désastre milanais, six mois plus tôt, le chancelier Duprat jubilait. Cet homme habituellement si triste et qui, en dépit de ses rondeurs, n’avait jamais caché un fond de
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