La Régente noire
riches atours ne rachètent plus vraiment les formes ingrates. Un visage lisse et plein, assez commun en vérité, traduisait mal les délicatesses d’une nature élevée, et qu’on disait sublime. C’est que l’ancienne reine de Portugal se languissait dans son veuvage.
D’emblée, Marguerite saisit le parti que l’on pouvait en tirer. Elle savait qu’une éventuelle union de son frère avec Éléonore serait de nature à modifier du tout au tout les termes d’un accord ; et puisque Charles, soit discrétion soit fatigue, avait laissé les deux dames en tête à tête, elle en profita pour dépeindre aussitôt François sous les traits du chevalier des contes, aussi superbe que malheureux. La jeunesse du roi de France, sa vigueur, son esprit, sa gaillardise tout à la fois et son raffinement, furent littéralement vendus à la jeune veuve. Mais aussi l’injustice qui l’avait si durement frappé, et cette captivité lamentable... Pour brosser cet idyllique portrait, Marguerite n’avait, du reste, qu’à laisser parler ses propres sentiments : c’est son amour personnel qu’elle s’efforça d’insuffler au cœur flottant d’Éléonore.
— J’ai cru comprendre, osa-t-elle insinuer, que François n’aurait quitté l’Italie pour l’Espagne que dans le but de se rapprocher de Votre Majesté ; vous savez qu’il parle d’elle sans cesse...
— Vraiment ? Vous me troublez...
— Les portraits qu’il a de vous lui ont donné plus que l’envie de vous rencontrer ; et ce serait une grande consolation, dans sa prison, que de recevoir votre visite.
— Je ne sais si cela se peut...
Mais à son sourire, il apparut qu’Éléonore n’était plus très loin d’adhérer aux plans de Marguerite. Elle les eût même faits siens, n’eût été un certain obstacle bien fâcheux.
— L’empereur, mon frère, et son conseil, ont déjà promis ma main à Mgr le connétable de Bourbon, rappela-t-elle à toutes fins utiles.
Marguerite feignit de tomber des nues, et afficha la mine la plus consternée.
— Ma pauvre amie, gémit-elle en saisissant les mains d’Éléonore.
Une étape venait d’être franchie dans l’intimité, dans la complicité même.
— Ma pauvre amie, mais qu’allez-vous devenir ?
— Vous connaissez le connétable...
— Si je le connais ? Mais, chère Éléonore, songez que je ne connais que lui. Des années durant, à la Cour de France, j’ai dû subir sa présence insidieuse, toute de malice et de fausseté.
— Dieu du Ciel...
— C’est une chose délicate à révéler à une future épouse, mais... Non, il vaut mieux que je n’aille pas plus avant.
— Si, madame, de grâce, je vous prie !
— Cela pourrait être mal interprété.
— Je vous supplie, Marguerite, de tout me dire ! Entre nous...
La sœur de François s’approcha de la sœur de Charles pour lui parler à l’oreille.
— Eh bien... Savez-vous que ce beau connétable que l’on vous destine est, à cette heure, le plus grand traître de l’Europe ? Qu’il a piétiné ses engagements de chevalier pour vendre sa prétendue force aux ennemis de son souverain ?
— Dieu du Ciel !
— Je ne vous connais pas encore très bien, madame. Mais je n’eusse pas demandé mieux que de vous connaître familièrement. Car je dois confesser que vous m’êtes plus qu’agréable. Eh bien... Je regarderais comme un malheur achevé que l’on confiât une princesse comme vous aux mains d’un aventurier comme lui.
Éléonore buvait les paroles de Marguerite, et lui fit promettre qu’en aucun cas, elle ne l’abandonnerait. L’émissaire de la régente ne se força nullement pour y consentir. Elle entendait résonner en elle les doux accents du triomphe.
Lyon, abbaye de Saint-Just.
S ’appuyant au bras du chancelier, Madame rejoignit sa demoiselle d’honneur au centre du cloître. Elle évoquait avec Duprat les révoltes paysannes qui, en Rhénanie, comme en Souabe, fragilisaient l’hégémonie impériale.
La jeune Anne d’Heilly ne perdait jamais une occasion de se montrer gracieuse : aussi avait-elle tiré du grand buisson de roses quelques odorants spécimens qu’elle offrit, humblement, à sa maîtresse. Madame la gratifia d’une caresse au visage.
— Elles sont belles, n’est-ce pas ? Belles comme cette journée ! Belles comme la nouvelle du rétablissement du roi.
Antoine Duprat voulut saisir une branche du rosier, pour en humer le parfum ; il s’y piqua.
— Belles
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