La Régente noire
soixante-dix gentilshommes accompagnant les deux otages, auxquels il convenait d’ajouter plus de cent cinquante serviteurs ! Comment nourrir toutes ces bouches sans revenu régulier, sans aucun moyen de trouver du numéraire, ni la moindre ouverture de crédit sur place ? Approvisionner la Maison des princes, loger leurs serviteurs aux alentours, assurer l’entretien d’une Cour en réduction, tout cela relevait du casse-tête.
Un tel état domestique pouvait du reste paraître excessif – et bien souvent déjà, décomptant les valets, le gouverneur avait éprouvé l’envie d’en renvoyer la moitié, peut-être davantage... Mais il était conscient, dans le même temps, du rôle essentiel de cette suite nombreuse : il convenait de donner le change et de compenser, par ce train fastueux, ce que la situation des petits princes aurait pu présenter de vexatoire pour eux-mêmes et d’humiliant pour le royaume qu’ils représentaient.
En vérité, M. de Brissac aurait bien pu adjoindre cent officiers encore à ceux qui, très ponctuellement, accomplissaient sous lui leur service ; il n’aurait pu éviter à ses princes la honte de leur état captif. Tout semblait conçu, à Villalba, pour faire sentir à François et à Henri ce qu’ils devaient aux inconséquences de leur père : des barreaux aux fenêtres, des serrures vérifiées tous les soirs, des fouilles régulières jusque dans leurs effets personnels... On devait espérer, chez l’empereur, que leurs plaintes répétées feraient pression, à la longue, sur Madame et sur le roi, et que, de guerre lasse, ceux-ci lâcheraient finalement du lest au plan diplomatique.
Il n’en fut rien. Certes, la régente essayait, par tous les moyens, de se tenir au fait des conditions de vie de ses petits-enfants ; et de temps à autre, un fourgon de monnaie traversait les Pyrénées à leur secours... Mais pour le reste, la Cour de France affectait un détachement complet envers ceux qu’elle avait laissés, otages, aux mains de l’empereur.
Pour eux, l’attente et la relégation ne faisaient que commencer.
CHAPITRE XI
Étés 1529 et 1530
Forteresse de Pedrazza.
D epuis le tournant de l’année 1529, la détention des jeunes otages avait pris, en Espagne, des airs de pénitence. Façon bien lâche, pour l’empereur, de se venger d’un roi de France indocile à ses injonctions.
Nichés au sommet d’un lourd donjon, dans quelque cellule humide, maintenus dans une sorte de pénombre par l’épaisseur de la muraille et l’étroitesse de fenêtres grillées de fer, les Enfants de France croupissaient sur leur petit banc, quand ils n’étaient pas vautrés sur deux malheureuses paillasses encadrées par des couchettes de gardiens !
Comment avait-on pu en venir à de si pénibles extrémités ? Par quelle succession de reculs et de démissions avait-on pu en arriver là ? Au début de l’exil, c’est-à-dire durant la première année, ce qui n’était qu’une mise en résidence surveillée, avec une Cour en réduction et tout un train de personnel, s’était apparenté, aux yeux des petits princes, à un simple déménagement.
Mais déjà, tandis qu’à la Cour de France, les fêtes succédaient aux réjouissances, en Espagne, les restrictions imposées, de nécessité, par le duc de Brissac, avaient eu tendance à rendre assez morose la vie des otages. On apprenait, à Villalba, qu’un double mariage avait été célébré à Saint-Germain-en-Laye : celui du maréchal de Montmorency avec la nièce de Madame, et celui de l’amiral Philippe Chabot de Brion avec une certaine... Françoise de Longwy ! Deux semaines après, c’était à Marguerite d’épouser son jeune et beau roi de Navarre.
En vérité, pour les princes François et Henri, les choses s’étaient corsées assez vite. Après le sac de Rome par les Impériaux et la mort du connétable de Bourbon sous les murs de la Ville éternelle, les otages français avaient été coupés, du jour au lendemain, de toute communication avec l’extérieur. Ainsi, par exemple, n’avaient-ils pu apprendre la naissance, à Blois, de leur cousine Jeanne d’Albret, premier enfant – à trente-six ans – de leur tante Marguerite. Mais un tel isolement ne s’accompagnait pas encore d’un durcissement de la vie courante. Patience...
Quand, en janvier 1528, la France et l’Angleterre avaient ouvertement déclaré la guerre à l’Empire, Charles Quint avait vu rouge. Rétorsion
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